Renaissance de la droite radicale
L’Allemagne connaît, depuis quelques années, une poussée de droite radicale. Celle-ci remet en question les fondamentaux de la société allemande, que républicanisme et pacifisme caractérisent. Le rapport que l’Allemagne entretient à son passé s’en trouve chamboulé – mais pas remis en question.
En octobre 2014, l’Allemagne découvrait, sidérée, qu’un mouvement radical pouvait naître dans une de ses grandes villes et embraser le reste du pays. Dresde devint rapidement le centre de l’attention de l’Europe entière: sous le nom de PEGIDA – l’acronyme de Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident – se rassemblaient tout d’abord quelques centaines de silhouettes sur le parvis de la Frauenkirche, agitant des drapeaux allemands et des bannières islamophobes. Trois mois plus tard, le mouvement rassemblait jusqu’à 25 000 personnes dans des cortèges hautement médiatisés.
PEGIDA, malgré une rapide perte de vitesse, a marqué le point de départ d’un changement profond au sein de la société allemande. D’une part, avec la fondation du parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD) et l’adoption de certains volets de son agenda par les partis traditionnels, le mouvement a engendré un profond «glissement à droite» (Rechtsruck) dans l’ensemble du paysage politique. En donnant à la droite radicale une dimension nouvelle, il a contribué à l’émergence d’un réseau d’intellectuels, souvent appelé «Nouvelle Droite» (Neue Rechte), occupé depuis à définir un cadre idéologique d’extrême droite.
L’émergence de cette droite radicale remet en question le statut de démocratie modèle de l’Allemagne. Le système de gouvernement par grandes coalitions semble dépassé, les partis politiques traversent une crise de légitimité profonde et l’AfD, malgré les scandales financiers et un programme à la limite de l’inconstitutionnalité, s’est établie comme une force durable – la troisième au parlement allemand et le quatrième groupe allemand au parlement européen. Les fractions sociales, culturelles et économiques qui traversent la société allemande, et dont la droite radicale agit comme un révélateur, ne peuvent plus être ignorées.
Cette nouvelle situation pousse les autres partis à adopter des positions plus conservatrices sur certains domaines. S’ils rejettent régulièrement toute collaboration avec l’AfD, ils n’en récupèrent pas moins certaines des revendications: la CSU, l’une des deux entités formant le parti conservateur allemand, a ainsi fait de l’islamophobie et du rejet des réfugiés deux de ses chevaux de bataille. L’AfD reste cependant isolée dans sa remise en question de la commémoration du passé national-socialiste: en revendiquant un «virage à 180 degrés» dans le domaine, en appelant à considérer le nazisme comme une «fiente dans mille ans de succès allemand», le parti se heurte à un mur.
La droite radicale doit ainsi définir une ligne idéologique propre en évitant d’être identifiée au national-socialisme. Les intellectuels de la Nouvelle Droite produisent un important travail idéologique dont l’AfD, entre autres, se nourrit. En relisant les auteurs de la «Révolution conservatrice» des années 1920, qui a préparé le terrain pour le national-socialisme, et en essayant de les appliquer à l’Allemagne contemporaine, ils cherchent ainsi à remettre en question les acquis républicains et démocratiques tout en évitant l’écueil du révisionnisme.
Le succès de la droite radicale est cependant très inégalement réparti dans le pays. L’ancienne frontière entre l’Est et l’Ouest apparaît clairement dans les résultats des élections, et notamment des dernières élections européennes: au sein des Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est, l’AfD atteint en moyenne 20%, quand elle reste inférieure à 10% dans le reste du pays. Les observateurs sont divisés sur les raisons de cette fracture, mais un constat fait l’unanimité: la droite radicale est là pour durer.
L’auteur est un historien romand établi à Berlin.