Chroniques

Femmes au travail et syndicats

Le 14 juin prochain, les femmes*1>L’utilisation de l’astérisque inclut toute personne s’identifiant comme femme. de ce pays vont se mettre en grève. Les syndicats jouent un rôle important dans l’intense mobilisation suscitée par cette action. Leur position traduit une implication relativement récente dans la défense du travail féminin. Pendant longtemps, ils ont en effet considéré que le rôle essentiel des femmes était d’abord celui de gardienne du foyer, ce qui justifiait une position marginale dans le monde du travail. Au XIXe siècle, les syndicats s’organisèrent entre hommes. En Suisse, comme ailleurs, les femmes syndicalistes eurent de la peine à s’imposer et étaient souvent accusées par leurs collègues masculins de détourner l’attention vers des questions qu’ils considéraient secondaires quand elles défendaient spécifiquement les femmes. La première responsable d’une section féminine de l’Union syndicale suisse, Margarethe Hardegger, fut ainsi évincée en 1909 pour divergence d’opinions. Le travail féminin était alors vu comme une forme de concurrence déloyale, car les salaires féminins étaient moins élevés.

Les représentants ouvriers participèrent aussi à la construction des inégalités de genre au travail. Dans la dernière moitié du XIXe siècle, la plupart des pays industrialisés édictèrent une réglementation spécifique du travail féminin dans l’industrie. Parce que les femmes étaient considérées comme plus fragiles physiquement et que leur rôle de mère apparaissait comme leur vocation principale, les Etats négocièrent avec le patronat et les syndicats des mesures spécifiques qui restreignaient leurs possibilités de travail. En Suisse, la loi sur les fabriques de 1877 leur interdisait le travail de nuit ou le dimanche et imposait un arrêt de huit semaines après un accouchement, sans garantir le maintien de l’emploi, ni aucune allocation de compensation. Ces restrictions empêchèrent – et pas uniquement en Suisse – les femmes d’accéder à certains métiers, qui devinrent des bastions masculins parfois âprement défendus. Célèbre exemple français: celui d’une typographe embauchée au tarif syndical dans une imprimerie de Lyon en avril 1913. Non seulement son adhésion à la Chambre syndicale lui fut refusée, mais en plus son collègue de mari fut exclu, en vertu d’une mesure de rétorsion du syndicat pour protéger la profession contre les femmes. Beaucoup d’ouvrières furent cantonnées à des formes particulièrement précaires de travail dans lesquelles elles étaient surreprésentées. L’industrie textile faisait ainsi travailler les femmes à la pièce ou à domicile. Une femme récemment accouchée, interdite de fabrique pendant huit semaines, pouvait très bien continuer le travail à la maison pour un tarif moins élevé. La protection ne s’étendait pas au-delà des murs de l’usine.

Dans les années 1930, l’étau se resserra encore pour les travailleuses. Alors que des organisations internationales féministes tentaient d’imposer des protections particulières en fonction du type d’activité et plus du sexe, certains syndicats réclamèrent que les femmes mariées et/ou mères soient exclues des administrations publiques. C’était la crise. L’idée était de dégager des places de travail pour les «chefs de famille» (exclusivement masculins) au chômage, tout en imposant la norme du «salaire familial» (évidemment masculin). A nouveau, le travail féminin était considéré comme subsidiaire au mépris de la situation des travailleuses. De nouvelles mesures furent instaurées, qui prévoyaient le licenciement des employées au moment du mariage ou de la maternité. La guerre signa le retour de beaucoup d’entre elles au travail, même si les variations de l’emploi féminin n’étaient pas aussi spectaculaires qu’on le dit souvent. En fait, les statistiques établies à partir des recensements ignorèrent longtemps les domestiques, le travail à temps partiel, à domicile ou à la pièce. Des catégories dans lesquelles les femmes étaient surreprésentées.

L’embellie économique de l’après-guerre et le développement du secteur tertiaire ouvrirent de nouvelles opportunités aux femmes, mais les structures sociales, le manque de service de garde et l’idée toujours dominante que leur place était d’abord au foyer freinèrent encore leur accès au monde du travail salarié. Les nouveaux mouvements féministes des années 1960-1970 militèrent pour une répartition paritaire du travail productif et reproductif et une égalité des chances et remirent en question l’ordre social patriarcal. Tandis que les féministes réclamaient la fin de la domination masculine dans toutes les sphères de la vie, les premières femmes furent élues aux directions des grandes centrales syndicales. En 1970, une femme prit la tête du Syndicat des services publics et, en 1978, l’Union syndicale suisse (USS) élut une vice-présidente. En 1992, Christiane Brunner présida la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie (FTMH), avant de devenir coprésidente de l’USS en 1994. Un effet de la grève de 1991?

Notes[+]

L’auteure est historienne

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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