Grève féministe, mode d’emploi
Une énième question autour de la grève du 14 juin prochain agite les médias depuis quelques jours: «les hommes en seraient exclus!» Ô rage, ô désespoir, ô drame immense, les mâles ne seraient pas invités à une mobilisation dénonçant le patriarcat!
Deux lectures de ce soudain engouement pour la cause des hommes. La première, optimiste, est que la journée du 14 juin s’annonce tellement bien, que ce sera un tel succès de mobilisation politique et citoyenne que chacune et chacun veut en être. C’est un peu comme ces soirées dans les clubs sélect où il faut absolument être vu-e sous peine de perdre toute sa crédibilité. Bon, même si nous sommes persuadées de l’engagement de toutes et tous, nous devons nous rendre à l’évidence, ce n’est pas ce qui sous-tend cette récente agitation médiatique.
Passons à la deuxième lecture, moins printanière et guillerette celle-là. N’assisterait-on pas à une tentative de délégitimation de cette mobilisation, à une nouvelle manière de la discréditer, en particulier dans ses revendications? Et pour cause, si l’on fait un rapide retour en arrière sur la grève de 1991, nous n’avons aucun souvenir de telles attaques. Vingt ans après le droit de vote et dix ans après l’adoption de l’article constitutionnel sur l’égalité, et en l’absence criante de mesures la favorisant, la mobilisation d’alors était jugée plus légitime que l’actuelle. Aujourd’hui, alors que la Loi sur l’égalité (résultat concret de la grève de 1991, faut-il le rappeler?) a vingt ans, la mobilisation dérange.
D’aucun-e-s veulent nous amener à penser que l’égalité est acquise, qu’elle n’est plus un enjeu; on nous montre régulièrement que des femmes ont pu se hisser à des positions dirigeantes – on a même quatre conseillères fédérales –: une grève n’a donc plus de raison d’être. Pourtant, lorsqu’on regarde les revendications, force est de constater que les choses n’ont pas autant évolué qu’on aimerait bien nous le faire croire: les filières de formation (tous niveaux confondus) comme les métiers sont toujours très peu mixtes, la violence (à la maison, au travail, dans la rue), même si elle est davantage dénoncée, est toujours présente, les corps des femmes sont soumis à d’innombrables injonctions, etc.
Depuis quand délégitime-t-on un mouvement social pour ne pas être total? Dans un pays où le seul fait de prononcer le mot grève est une atteinte à la «paix du travail», n’est-il pas cocasse de voir des élues PLR appeler à quelque chose qui serait de l’ordre d’une grève générale sinon rien? Les féministes ne représenteraient pas toute la population, pire elles excluraient ceux qui sont habitués à être visibles, à prendre la parole, à décider, bref elles excluraient les dominants. A-t-on demandé aux syndicats d’intégrer les patrons lors des manifestations du 1er mai, ou aux gilets jaunes d’inclure celles et ceux qui refusent de payer l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune)? Non!
Pourtant, dans le cas de la grève des femmes, il faudrait à tout prix inclure les hommes, juste pour ne pas dire que bien qu’étant nos amis, nos compagnons, nos frères, nos pères, ils profitent d’un système qui les place, en tant que groupe, dans une position de dominants. Cela n’a rien à voir avec leur gentillesse, leur bonhomie individuelles ou avec l’affection, l’amour qu’on peut leur porter. Il s’agit simplement de dénoncer un système inégal, brutal, parfois inique.
Messieurs, une invite à votre encontre. Le 14 juin prochain, restez au travail pour permettre à vos collègues femmes de cesser le travail, en cas de service minimum (santé, transports, etc.). Lorsque c’est possible, cessez le travail pour vous occuper de vos proches. Sortez, participez, manifestez et faites-le s’il vous plaît sans tirer la couverture à vous, sans vous mettre en scène face aux médias, sans souligner que vous êtes venus. Par toutes les actions que vous pourriez entreprendre, montrez que l’égalité vous importe, vous concerne. Et si vous trouvez que les collectifs ne vous ont pas assez défendu, organisez des collectifs pro-féministes, portez vos propres revendications égalitaires. Car enfin, si le féminisme nous a appris quelque chose, c’est qu’il s’agit d’un humanisme visant l’épanouissement de chacun-e dans l’égalité, la solidarité, mais aussi dans l’indépendance et l’autonomie. Ne venez pas demander aux femmes qu’elles vous intègrent dans leurs luttes, qu’elles portent vos demandes, montrez que vous ne souhaitez pas uniquement participer parce que vous avez le sentiment d’avoir été exclus de quelque chose d’important. Participez car vous le voulez, montrez tout ce qu’il y a à gagner à vivre, travailler, aimer dans une société égalitaire.
Les auteures sont investigatrices en études genre.