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Au Myanmar, des journalistes sous pression

A l’occasion de la 26e édition de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai, Oliver Slow, conseiller éditorial de la Fondation Hirondelle au Myanmar, évoque les défis du journalisme dans un contexte démocratique fragile.
Au Myanmar, des journalistes sous pression
Journalistes de médias birmans partenaires de la Fondation Hirondelle en reportages dans l’Etat de Kayin au Myanmar. PHOTO: Lâm Duc Hiên / Fondation Hirondelle
Droit à l’information

Le mois dernier, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, deux journalistes de Reuters condamnés en 2018 à sept ans de prison au Myanmar, ont perdu leur dernier appel devant la Cour suprême du pays. Lors de leur arrestation, en décembre 2017, ils enquêtaient sur la répression brutale de l’armée contre la minorité Rohingya dans le nord de l’Etat de Rakhine.

Cette affaire a suscité une condamnation internationale et constitue l’exemple le plus médiatisé d’une détérioration de la liberté de la presse au Myanmar, sept ans après le début de réformes démocratiques saluées comme une amélioration significative pour le quatrième pouvoir du pays. Mais de nombreux autres incidents se sont produits ces derniers mois, qui montrent à quel point la situation est difficile pour les journalistes qui travaillent ici.

Deux exemples récents parmi nos médias partenaires: en février, deux journalistes travaillant dans l’Etat de Kachin, dans le nord du Myanmar, ont été détenus et violemment empêchés de travailler par le personnel d’une entreprise locale sur laquelle ils enquêtaient pour des violations des droits humains. A la même période, à l’extrême sud du pays, un rédacteur en chef était condamné à une amende pour un article satirique sur un fonctionnaire du gouvernement qui a, depuis, été arrêté pour corruption.

La situation est devenue encore plus inquiétante la semaine dernière, lorsque l’armée du Myanmar a déclaré qu’elle prévoyait de poursuivre en justice le journal local The Irrawaddy pour diffamation pour un article sur les combats actuels dans l’Etat de Rakhine.

Alors que nous célébrons ce 3 mai la Journée internationale de la liberté de la presse, il est clair que la liberté de la presse au Myanmar n’est pas en bonne santé. Les pressions qui y sont subies par les journalistes sont hélas représentatives de toutes les formes de censure, menaces et violences, tant de la part des autorités politiques, de l’armée que du secteur privé, dont notre profession peut être victime, ici comme ailleurs.

La situation est particulièrement difficile pour les journalistes et les organes d’information opérant en dehors des grandes villes, où les attaques et les menaces auxquelles ils sont confrontés sont rarement rendues publiques. Comme me l’a dit récemment un journaliste travaillant dans une région rurale: «J’ai peur d’être arrêté tous les jours. Chaque fois que mon téléphone sonne, je panique.»

Alors que le Myanmar s’achemine vers des élections générales cruciales en 2020, le rôle des médias s’avérera encore plus important pour tenir le public informé des questions fondamentales, qu’elles soient liées à la corruption, aux préoccupations environnementales ou aux tensions ethniques et religieuses, et de nombreux autres sujets importants pour la population birmane.

Mais les médias opèrent dans des circonstances incroyablement difficiles. Ils font face à des menaces, et aussi à des préoccupations financières majeures. Les raisons de ces difficultés varient, allant d’un lectorat et d’options publicitaires limités à des coûts de distribution élevés. Alors que la population du Myanmar est de plus en plus numérisée, de nombreux points de vente modifient leurs modèles financiers en conséquence; mais comme leurs homologues dans le monde entier, ils sont confrontés à des problèmes dus à la domination des géants mondiaux de l’internet.

Il y a aussi la question des médias d’Etat. Lorsque la Ligue nationale pour la démocratie est arrivée au pouvoir en 2016, elle en a surpris plus d’un en annonçant qu’elle maintiendrait tels quels les médias d’Etat, qui ont fait l’objet de nombreuses critiques au fil des ans pour n’avoir agi que comme porte-parole du pouvoir. Cinq quotidiens imprimés au Myanmar appartiennent au gouvernement ou à l’armée et entravent la performance financière des médias privés en utilisant les subventions gouvernementales pour faire baisser les tarifs publicitaires.

Presque tous les médias du pays sont préoccupés par l’avenir et certains d’entre eux craignent de ne pas pouvoir poursuivre leurs activités. Etant donné le rôle crucial qu’ils jouent dans l’information de leurs communautés locales, un tel scénario serait un coup dur pour garantir que le public du Myanmar soit informé de manière fiable, alors que la transition démocratique du pays reste fragile.

Journaliste britannique, Oliver Slow travaille depuis sept ans au Myanmar. Il est le spécialiste éditorial de la Fondation Hirondelle sur place, qui soutient la production d’un podcast hebdomadaire sur les droits humains en partenariat avec Frontier Myanmar, un média local.

Traduction: N. Boissez.

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