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Le paradoxe Podemos

Le paradoxe Podemos
En janvier, après la débâcle de la gauche en Andalousie, Pablo Iglesias fut le premier à appeler à un front commun contre Vox. Keystone
Exergue

En Espagne, le barrage victorieux à la marche en avant de l’alliance des droites aurait sans doute été impossible sans l’émergence de Podemos. Depuis sa naissance en 2014, le mouvement issu des Indignés a su ramener de nombreux jeunes vers les urnes et même au sein des hémicycles puis redonner des couleurs au vieux Parti socialiste ouvrier (PSOE) forcé de renouer avec ses racines populaires. En janvier, après la débâcle de la gauche en Andalousie, Pablo Iglesias fut le premier à appeler à un front commun contre Vox et à tourner l’essentiel de ses flèches vers la droite de la droite.

Dimanche, une majorité des Espagnols a répondu à l’invite, faisant du scrutin législatif l’un des plus courus de l’histoire, avec presque 77% de participation. Or, Podemos a subi là un net recul, passant de 71 à 42 députés et de 5 à 3,7 millions de voix, soit de 21,1% à 14,3% des votants. Ce n’est pas le moindre des paradoxes pour le parti «violet».

Car si la chute est brutale, elle doit quand même être relativisée. Sur les 1,3 million d’électeurs perdus, plus de 300 000 se sont reportés sur ses ex-alliés catalan, valencien et galicien qui avaient choisi de quitter la coalition constituée en 2016 avec Podemos, lorsque ce dernier avait le vent en poupe. Mal leur en pris, d’ailleurs, puisque tant Front Republicá, Compromis que En Marea ont obtenu des résultats décevants.

Podemos, victime du vote utile

Surtout, le parti conduit par Pablo Iglesias a été la principale victime du «vote utile», propre à un système électoral espagnol qui défavorise les petits partis. A titre d’exemple, Unidas Podemos (Gauche unie, Podemos et Equo) avait obtenu en 2016 trois députés en Castille-Léon avec 15% des voix tandis que les 10% de cette année n’ont rapporté aucun siège. Une perspective qui fait évidemment fuir plus d’un votant lorsque les sondages commencent à flirter avec cette barre mouvante selon les régions…

Autre paradoxe: le parti qui s’est le plus nettement investi pour un compromis entre Madrid et la Catalogne – droit à l’autodétermination mais rejet de l’indépendance – paie aussi mécaniquement le renforcement d’un camp indépendantiste boosté par la répression et qui n’a, pour une fois, pas boudé les élections au Parlement espagnol. Vainqueur de façon quelque peu artificielle du scrutin législatif de 2016 en Catalogne et au Pays Basque, Podemos y conserve une forte base mais recule à la troisième place.

Enfin, malgré ses pertes, le parti peut se réjouir d’avoir limité la casse! Lors du départ en janvier dernier d’Iñigo Errejón, son cofondateur et leader madrilène, les risques d’une implosion d’UP étaient réels, et les prévisions donnaient alors la gauche radicale autour de 11%-12% et une trentaine de députés. Une fois de plus, l’habileté médiatique de son leader Pablo Iglesias, net vainqueur des deux débats télévisés, a porté le mouvement. Paradoxe suprême pour un projet qui prône la démocratie radicale mais paraît plus que jamais dépendant à son porte-étendard.

Distancés par les socialistes

Moins de quatre ans après ses premières élections nationales, Podemos n’ambitionne plus de prendre la place du PSOE, avec lequel il faisait presque jeu égal en 2015 et 2016. Distancés de quatorze points par les socialistes, Podemos cherche son salut en proposant ses services subalternes dans un gouvernement Sánchez. Au risque de devoir mettre en sourdine ses ambitions de réforme constitutionnelle, de révision de la politique européenne ou de socialisation de l’économie.

Logique d’un point de vue institutionnel, cette stratégie n’est pas sans ironie pour un mouvement né dans l’espoir de supplanter «l’establishment» et de redonner le pouvoir à la base. De dynamiteur du bipartisme, si réticent à brandir les symboles historiques et le langage typique de la gauche, à ciment de l’axe gauche-droite au côté de la vieille social-démocratie!

Mais le péril principal de cette voie, pour Podemos, serait qu’elle lui permette d’éluder son indispensable mue démocratique. L’urgence électorale passée et malgré toute l’aura de son leader, les structures – plébiscitaires et bureaucratiques – doivent être profondément revues, ouvrant le champ à une actualisation du projet politique le plus intéressant ayant surgi de longue date en Espagne.

International Opinions Benito Perez Exergue

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