Chroniques

Neuchâtel créatif et intergénérationnel

Nous ferons grève le 14 juin!

A Neuchâtel, la genèse des collectifs romands suit une construction par impulsions successives: les assises romandes ont fait converger tant de revendications communes face à l’inaction en termes d’égalité que les femmes ont suivi. Dans notre région, cela s’est traduit par un «noyau dur» de militantes impliquées et ayant déjà défendu bien des valeurs ensemble. Cette base aurait pu se suffire à elle-même. «Aurait pu» est ici la clé: ce n’était pas la volonté du collectif que de se replier sur soi-même.
Les questions de justice sociale post-révolution numérique floutent les barrières entre militantes et «civiles»: les questions de l’accès à l’information et des plateformes de diffusion ne se posent plus. Si cette démocratisation de l’accès aux textes féministes est profondément positive, elle a décentralisé les actions concrètes: l’information passe si vite que les groupes se font et se défont, fragmentés et volatiles. Or, si la grève devait n’avoir qu’un but, n’est-il pas de fédérer?

Interrogées sur la présentation de notre collectif dans ces colonnes, les femmes parlent spontanément de lien «intergénérationnel», de convergences «plurielles», d’un état d’esprit «imaginatif». Pour d’autres, ce mouvement donne une «voix» bienvenue, montre un élan «déterminé» ou, en ces temps de déconstruction et reconstruction collectives, «donne de l’espoir» et inspire.

L’information a tourné et le nombre de membres n’a cessé d’augmenter, permettant à la fois la multiplication des actions et l’enrichissement intellectuel propre à la pluralité de points de vue. Car la pluralité est bien au centre de cette grève – et de la plupart des grèves des femmes récentes: si les revendications autour du travail salarié sont on ne peut plus légitimes, il est essentiel de les contextualiser et d’interroger la notion même de travail.

En effet, il devient difficile d’ignorer l’impact de la misogynie sur les différentes formes dudit travail. Le travail de care, le travail domestique et le travail émotionnel sont autant de domaines essentiels au bon fonctionnement sociétal qui se trouvent, mystérieusement, exclus de la question du travail dans l’imaginaire collectif, focalisé sur le travail rémunéré. Peut-on postuler – de bonne foi – que cette délégitimation du labeur dit «féminin» est ancrée dans quelque chose d’autre que la misogynie institutionnalisée, justifiée par des théories essentialistes sans fondements scientifiques solides?

C’est pour cela que le 14 juin, nous ferons grève sur nos lieux de travail, mais aussi dans les domaines du care, du travail domestique et de la consommation. La subordination des femmes et le capitalisme sont intimement liés, et l’un ne peut fonctionner sans l’autre; l’exploitation des femmes est centrale au bon fonctionnement du système dans tous les domaines.

La grève n’est pas une fin mais bien un moyen: son déploiement dans différents secteurs d’activité souligne la profondeur et l’impact de l’exploitation des femmes mais, surtout, permet de prendre conscience que le problème n’est pas individuel, mais bien sociétal. La création du collectif neuchâtelois pour la grève a permis de rassembler des femmes de tous horizons au-delà de militantes partisanes et syndicales, de faire entendre leurs revendications et de les contextualiser comme systématiques et non plus individuelles.

C’est la force du lien unissant le groupe à la base de la formation du collectif neuchâtelois qui a permis la stabilité nécessaire à une action de cette envergure. Ce sont les liens créés ensuite qui permettent aux femmes de s’emparer de ces questions, trop longtemps considérées comme des préoccupations individuelles, et de les appliquer au groupe: il paraît que la révolution ne peut exister sans conscience de classe. Ce 14 juin n’est pas un aboutissement mais bien un commencement, un cri de ralliement. A Neuchâtel, nous préparons juin, nous voulons voir loin.

En Romandie comme dans le reste de la Suisse, divers collectifs de femmes* se sont constitués pour organiser la grève du 14 juin. Retrouvez les échos de ces préparatifs en page Regards jusqu’en juin. Prochain rendez-vous le 2 mai.

Opinions Chroniques Collectif neuchâtelois pour la grève

Chronique liée

Connexion