Édito

Couardise de la Cour pénale internationale

Couardise de la Cour pénale internationale
La décision de la CPI intervient après des menaces proférées par les Etats-Unis. Keystone
Justice internationale

Une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. Après l’arrestation du cybermilitant Julian Assange par la Grande-Bretagne jeudi, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont refusé vendredi d’enquêter sur les graves crimes présumés perpétrés en Afghanistan, dont ceux des Etats-Unis. Deux points marqués coup sur coup par Washington.

En 2017, la procureure gambienne Fatou Bensouda avait fait preuve d’un courage peu coutumier à cette institution en demandant aux juges l’ouverture d’une investigation pénale dans ce territoire sous quasi-protectorat étasunien. Il y avait largement de quoi prospecter en effet: des milliers de civils tués par les deux camps, dont des cas révélés en 2010 par des «fuites» de WikiLeaks, fondé par Julian Assange, et d’innombrables allégations de torture, y compris dans les prisons sous responsabilité US. Sur les quelque 4000 à 5700 personnes abattues par des frappes étasuniennes entre 2015 et 2019, entre 186 et 495 auraient été des civils, dont une dizaine d’enfants, selon les chiffres compilés par l’organisation The Bureau of Investigative Journalism.

Certes, l’enquête de la CPI n’aurait de toute manière pas permis de juger des responsables nord-américains pour d’éventuels crimes de guerre, Washington n’ayant pas ratifié le Statut de Rome. Elle aurait cependant fait un pas dans la direction de l’établissement de la vérité, préalable indispensable à toute justice. Les juges ont d’ailleurs reconnu que 680 des 700 demandes déposées à la CPI par les victimes présentaient des fondements suffisants pour lancer une enquête.

S’ils se sont abstenus d’ouvrir cette instruction, c’est principalement pour des raisons politiques, analyse l’ONG Human Right Watch, qui juge ce procédé inhabituel pour la CPI. Cette dernière ne s’en cache toutefois pas: «L’évolution de la situation politique tant en Afghanistan que dans les principaux Etats, à laquelle s’ajoutent la complexité et l’instabilité du climat politique qui entoure toujours le scénario afghan, empêche une coopération significative de la part des autorités concernées», a argumenté sa chambre préliminaire.

Pourtant, fin 2018, le président Donald Trump annonçait le retrait de 7000 soldats d’Afghanistan, en vue d’un désengagement total d’ici deux à trois ans. Cette perspective rend plus réaliste que par le passé la possibilité d’enquêter sur les crimes de l’armée nord-américaine dans ce pays.

Ce renoncement de la CPI résonne comme une ultime occasion manquée d’opérer un tournant dans son histoire. Sa couardise pourrait bientôt devenir légendaire. Jusqu’à présent, cette institution n’a condamné que des criminels issus du continent africain. Et, pour la plus grande part, ils comptaient parmi ceux qui ne disposaient pas d’alliance solide avec l’Occident, ou étaient tombés en disgrâce à ses yeux – prêtant ainsi aisément le flanc aux accusations de néocolonialisme et de partialité. Par cette décision, la CPI confirme sa réputation de digne représentante de la «justice des vainqueurs». I

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