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Vivre la vie d’Emma Goldman

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L’autobiographie de l’anarchiste Emma Goldman a enfin été traduite en français et publiée aux Editions l’Echappée. Le récit commence en 1889 quand Goldman, âgée de 20 ans, arrive à New York. Sur plus de mille pages, elle raconte sa vie et brosse un tableau coloré de son époque faite de mobilisations ouvrières, d’action directe et de rêves de révolutions.

Car Emma Goldman ne tient pas en place. Elle enchaîne les tournées à travers les Etats-Unis et livre un combat après l’autre pour la libération de camarades, la liberté d’expression, contre la dictature du tsar en Russie…

A 16 ans, Goldman fuit la Russie, où sa famille juive subit des persécutions, pour rejoindre les Etats-Unis qu’elle se représente comme une terre promise. Comme beaucoup, elle se rend vite compte qu’il faut beaucoup travailler pour gagner peu et que la démocratie américaine n’est pas à la hauteur de ses espérances. En 1887, elle s’émeut du sort des condamnés de Haymarket à Chicago, pendus par les autorités pour avoir organisé un meeting lors duquel une bombe a tué des policiers. Elle considère ce moment comme l’origine de son engagement. Elle rejoint des groupes anarchistes et milite pour renverser l’ordre social capitaliste qu’elle trouve profondément injuste.

En 1892, elle organise avec son camarade Alexandre Berkman l’assassinat de Henry Clay Frick que le patron de la métallurgie Andrew Carnegie avait laissé aux commandes de son usine de Pittsburgh, alors que les ouvriers se mobilisent pour contester leurs licenciements en bloc et les conditions de leur réengagement. La direction ne reconnaît plus le syndicat et refuse de négocier avec lui les tarifs et les conditions de travail, alors que le secteur se porte très bien. Responsable de la mort d’ouvriers grévistes tués par des agents privés engagés par ses soins, Frick n’est que blessé par le tir de Berkman qui purgera quatorze ans de prison.

Tout en soutenant son ami incarcéré dans d’effroyables conditions, Goldman poursuit son combat. En 1893, alors que la crise frappe durement la population ouvrière de New York, elle prononce un discours virulent contre les secours que la municipalité consentirait à accorder, alors que quelques rues plus loin d’autres vivent dans un luxe fastueux. Elle encourage son auditoire à s’emparer des biens des riches pour ne pas mourir de faim. Ce discours lui vaut quelques mois de prison. Partisane de l’action directe, Goldman est une oratrice hors pair, dont la voix galvanise les foules.

Libérée, elle se rend à Vienne pour apprendre les métiers d’infirmière et de sage-femme. De retour aux Etats-Unis, sa nouvelle occupation la conduit dans les foyers très pauvres (les femmes dotées de quelques moyens accouchent avec un médecin). Elle réalise l’immense détresse provoquée par les grossesses à répétition. Elle s’intéresse alors au mouvement néomalthusien et au contrôle des naissances pour rapidement comprendre que le tabou sur la sexualité couplé à la détermination de certains Etats à faire produire le plus d’enfants possible empêche toute réforme.

Pendant les années suivantes, elle enchaîne les meetings publics et prend la parole devant des milliers de personnes à travers les Etats-Unis. Ses conférences sont régulièrement interdites par la police et il n’est pas rare qu’elle passe la nuit en prison. Elle traverse l’Atlantique pour se rendre en Europe et participer au congrès anarchiste à Amsterdam en 1907. Son retour est menacé par la nouvelle loi anti-anarchiste, mais il faudra encore dix ans aux autorités pour expulser «Emma la Rouge». En 1917, elle est condamnée avec Berkman à deux ans de prison pour avoir contesté la conscription. L’emprisonnement signe la fin de la revue Mother Earth fondée en 1906 à laquelle Goldman et ses camarades consacraient l’essentiel de leur énergie.

Après leur libération, les deux anarchistes sont expulsés vers la Russie. Le nouveau régime bolchevique déçoit Goldman et Berkman, qui quittent le pays «affligés et dépossédés de nos rêves», après l’enterrement de leur ami Pierre Kropotkine. Après plusieurs étapes au gré des visas qu’on veut bien lui délivrer, Goldman arrive à Saint-Tropez qui n’est encore qu’«un pittoresque village de pêcheurs». Là, avec l’aide de ses ami-e-s, elle rédige ce livre.

Son parcours témoigne d’une existence émancipée. Elle choisit l’amour libre, refuse d’être aliénée à un homme et renonce à la maternité, car elle sait que son idéal accaparera toute son énergie. Féministe, Goldman considère que l’émancipation des femmes passe par leur libération des carcans du patriarcat. Selon elle, les femmes doivent conquérir leur liberté elles-mêmes et se libérer des traditions, des préjugés et des vieilles habitudes. Partisane de l’amour libre, elle ne voit dans le mariage qu’une aliénation qui met les femmes au service de leur mari et de leurs enfants.

* Historienne.

Emma Goldman, Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, Paris, Editions L’Echappée, 2018.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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lundi 15 janvier 2018

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