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Médecine: difficile de ne pas en faire trop!

À votre santé!

Récemment, j’ai eu à mon cabinet une jeune fille d’une quinzaine d’années qui présentait des maux de ventre très réguliers depuis environ deux mois, disait-elle. Sa mère s’inquiétait d’une intolérance alimentaire ou d’une maladie digestive: souvent, sa fille ne mangeait pas ou très peu; sa mère la voyait fatiguée. Cette patiente avait déjà consulté six mois auparavant pour une douleur aux genoux, surtout lors du sport, sans inquiétude du point de vue clinique, et pour laquelle on avait prescrit de la physiothérapie et un repos relatif. Elle avait aussi consulté il y a deux mois pour des malaises et même une perte de connaissance, ce qui n’est pas rare à cet âge. Par ailleurs, tout semble aller bien dans sa vie, elle dit avoir un bon réseau d’amis, n’a jamais connu de difficulté dans son parcours scolaire et est décrite par sa mère comme une adolescente normale… quand elle n’a pas mal!

En tout, ce sont donc trois consultations en six mois, à un âge où l’on «devrait» être en bonne santé, avec des plaintes somatiques et l’angoisse – qui augmente – d’une maladie chronique débutante non seulement pour la patiente mais aussi pour son entourage direct: la grand-mère maternelle, me rapporte-t-on, «voit bien» que sa petite fille ne va pas bien et qu’elle a des cernes.

Les situations de ce genre où le patient se sent mal et le médecin «ne trouve rien» sont fréquentes. C’est à ce moment que deux anxiétés se rencontrent. Le patient a peur et se demande s’il n’a pas la même maladie que son voisin (et sa navigation sur internet ne le rassure pas). Le médecin se demande s’il n’est pas en train de passer à côté de quelque chose de grave. C’est alors que se pose la question des examens complémentaires.

Par nos études et notre formation, nous, médecins, sommes éduqués à chercher et à trouver «la» maladie. Mais qu’investiguer somatiquement si tous les signes cliniques sont rassurants? Doit-on faire une batterie de tests sanguins, une imagerie, qui rassurera tout le monde, alors que l’on est «presque» sûr que tout sera normal? Comment répondre au mieux au problème de santé présenté sans faire de la surconsommation médicale, qui reste une facilité dans les soins: c’est d’ailleurs une réalité qui dépasse la médecine classique, les approches complémentaires représentent aussi un marché où le patient est poussé à consommer… et souvent à ses propres frais.

La médecine basée sur les preuves, communément appelée «Evidence Based Medicine» (EBM), même si elle est mise à mal depuis un an – ce qui sera sûrement le propos d’une autre chronique! – est bien sûr la première voie pour éviter la surmédicalisation. Parce qu’elle permet d’évaluer les bénéfices ou dommages à partir d’études cliniques ou méta-analyses amenant des recommandations globales, elle autorise un dialogue argumenté et fructueux avec le patient. Reste à prendre en compte son histoire personnelle, contrepoint nécessaire aux recommandations à large échelle. Cette approche appelée «Narrative based Medicine» permet non seulement de tenir compte des antécédents familiaux et personnels de chacun, aussi bien que des liens intrafamiliaux et entre amis, mais encore de mettre à profit le lien de confiance entre le patient et le médecin.

Et c’est vrai que, dans cette situation particulière, j’ai l’avantage de connaître la patiente (et donc aussi sa famille) depuis sa naissance. Ce jour-là, à cette consultation, je ne suis pas trop en retard: en entrant dans mon cabinet où ma patiente m’attend avec sa mère, je revois la petite fille blondinette qu’elle a été un jour («elle est si différente de sa petite sœur avec qui on sait tout de suite à quoi s’en tenir» me disait la mère il y a quelques années) et perçois bien son mal-être actuel. Je prends le temps de verbaliser pourquoi je ne suis pas inquiet a priori et dans l’immédiat concernant une maladie chronique et, prenant un moment l’adolescente seule, je lui demande si elle peut mettre d’autres mots sur ses maux, en lui disant que je voyais bien qu’elle n’allait pas bien: c’est là qu’elle dit qu’elle se sent transparente et s’ouvre à d’autres inquiétudes…

Je fais revenir la mère dans mon bureau et propose plutôt un suivi psychologique: la patiente semble plus détendue et la mère dit «pourquoi pas, parce que je ne sais plus comment aider ma fille». Une heure a passé, on ne parle plus d’examens sanguins ni même de douleurs abdominales; on s’est mis d’accord pour ne pas prescrire de médication et pour se revoir après quelques consultations chez la psychologue. Cela aurait été plus difficile probablement si nous ne nous connaissions pas bien depuis «toutes ces années». Et moi, j’espère que mon sens clinique ne m’aura pas trahi: en médecine de premier recours, on est souvent poussé à prendre des décisions médicales sur une impression clinique plutôt qu’un diagnostic. C’est alors qu’il faut rester alerte et garder le doute au fond de soi.

Cela prend du temps, n’en déplaise à Monsieur Berset qui ne nous accorde plus que vingt minutes par patients! Mais c’est essentiel.

L’auteur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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