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Invisibilisées

Les femmes noires constituent un groupe oublié des discours sur les violences sexuelles, dénonce Ruth Noemi Bendel.
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Ce 7 janvier, Cyntoia Brown s’est fait gracier par le gouverneur du Tennessee, échappant ainsi à la prison à perpétuité. En août prochain, elle sera placée en liberté conditionnelle, jusqu’en 2029. Après des mois de mobilisation en faveur de sa libération, cette victoire était inattendue.

Pour la petite histoire, Cyntoia Brown est une citoyenne afro-américaine de trente ans incarcérée en 2004, à l’âge de 15 ans, pour avoir tué l’homme qui l’avait achetée à des fins sexuelles. Quand son histoire a pris de l’ampleur médiatique, une question a résonné: quelle est la place des femmes noires dans les débats sur les violences sexuelles? La réponse est simple: aucune. Les femmes noires sont très souvent oubliées – voire effacées des problématiques autour des violences sexuelles. Il n’y a qu’à constater: Cyntoia Brown aura dû purger quinze ans de prison avant que son cas soit considéré et réexaminé. Sans oublier que si son histoire a pris autant d’ampleur, c’est parce que le mouvement #MeToo a daigné s’intéresser à son sort.

A propos dudit hastag, relevons par ailleurs que, des semaines durant, son origine avait été créditée à l’actrice américaine Alyssa Milano. Ce n’est qu’après une mise au point qu’elle fut rendue à Tarana Burke, militante afro-américaine et fondatrice de la campagne Me Too en 2007 – après qu’elle et sa fille ont été victimes de violences sexuelles – pour sensibiliser la société américaine aux violences sexuelles dont les femmes racisées font les frais. La révélation de l’identité de Burke et la reconnaissance de son rôle ont permis de mettre en lumière une faille du système: les femmes noires sont silencées lorsqu’elles osent parler des violences sexuelles subies.

Autre exemple, les victimes du chanteur R’n’B R. Kelly – toutes des filles noires mineures à l’époque des faits – qui ont vécu l’horreur de son harem sexuel. Celles qui ont pu s’en extirper ont tenté tant bien que mal de dénoncer ce qu’il se passait dans l’espoir d’y mettre fin. Mais personne ne les a crues ou n’a voulu les écouter. Ce n’est que vingt ans plus tard, en janvier 2019, qu’un documentaire – Surviving R.Kelly (Survivre à R.Kelly) – diffusé sur une chaîne nationale américaine a donné la parole à ces femmes.

Ce qui est regrettable, à travers toutes ces histoires, c’est le constat qu’il a fallu que des femmes blanches s’emparent des récits des victimes pour que la société s’insurge. Le plus effrayant est de constater que les femmes noires sont toujours silencées et doivent voir leurs expériences validées par des femmes blanches pour être considérées. Il est plus que nécessaire de faire de la place aux femmes noires dans les discussions sur les violences sexuelles. En fait, il faut nous inclure dans toutes les discussions, reconnaître la valeur de nos témoignages et ne pas attendre que les femmes blanches subissent la même chose pour entrer en matière.

Parce que les violences sexuelles que subissent les femmes noires ne se réduisent pas à l’excision.

L’auteure est étudiante et militante afro-féministe, de Lausanne.

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