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Une langue rénovée où le neutre serait la norme

«Dépourvu d’officialité, le genre deviendrait affaire privée…» Richard O’Donovan livre une réflexion sur l’écriture inclusive. Dénonçant une «hypersexualisation de la grammaire», il plaide pour une refonte de la langue basée sur la neutralité.
Genre

Les quotas et l’écriture épicène ou inclusive sont bien sûr nécessaires. Mais autant il semble admis que dans une société enfin plus égalitaire les quotas n’auraient plus de raison d’être, autant il ne semble pas y avoir de questionnement sur l’écriture ­inclusive.

Parmi les conséquences du féminisme, il y a les études-genre qui concluent que la réponse à la question du genre n’est pas binaire. Les droits humains interdisent la discrimination basée sur la race, la religion ou le genre. La grammaire, heureusement, n’accorde (ne discrimine) pas en race ou en religion, mais néanmoins discrimine en genre (discriminer au sens premier qui est d’établir une distinction).

La langue inclusive nous demande de discriminer de manière plus équitable; ne faudrait-il pas plutôt ne plus discriminer du tout? Il est inconvenant que je doive penser à l’entrejambe de la personne avec qui je communique avant d’accorder un verbe – même si c’est pour tenir compte de plusieurs possibilités. L’écriture inclusive ne change rien à ce regard indiscret. Et que dire de l’accord grammatical pour ceux/celles/? qui ne sont pas cisgenres?

Plutôt que d’hypersexualiser la grammaire, ne vaudrait-il pas la peine de rêver une langue poétique, littéraire, non discriminante, inventant le neutre, plutôt qu’une langue purement administrative qui se dit inclusive au détriment des ­personnes qui ne se reconnaissent pas dans la dichotomie? Ce qui se passe dans ma tête quand je rencontre une personne n’a pas besoin de se refléter dans la ­grammaire.

De même, ne faudrait-il pas que l’indication de sexe disparaisse de la carte d’identité, voire du registre d’état civil? A aucun moment le sexe ne semble utile pour établir l’identité d’une personne. Les histoires d’amour ne commencent en général pas par un échange de passeports. Et dans l’optique d’un mariage pour tous, le sexe ni le genre ne seraient plus des critères.

Ainsi dépourvu d’officialité, le genre deviendrait affaire privée. L’accord grammatical neutre appuierait cette notion. Resterait le domaine du sport, qu’on laissera régler à sa manière discriminatoire usuelle.

La grammaire oblige à penser en termes de comment j’identifie l’autre, au lieu de laisser l’autre se déterminer. Et si la politesse est une nécessité absolue, néanmoins quel ordre utiliser? Si moi (masculin d’après ma carte d’identité), je dis «toutes et tous», c’est de la galanterie goujate et paternaliste. Mais si je dis «tous et toutes», c’est du phallocratisme éhonté.

Je rêve d’une langue rénovée où le neutre serait la norme et tabouret ou chaise n’auraient pas de manière absurde des identités de genre. Je rêve d’une langue rénovée où le neutre serait la norme qui sortirait du domaine administratif pour entrer en poésie.

L’auteur est de Genève.

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