Le mot de la traductrice

Dans sa traduction, Raphaëlle Lacord a voulu préserver la poésie du quotidien qui caractérise Tout est toujours bien de Julia Weber, et le mouvement qui part du concret pour aller vers l’ailleurs.
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«Ich wünsche mir einen Urlaub mit Feuer und Ferne, und Bruno wünscht sich einen Urlaub ohne Alkohol.» Voici la phrase d’ouverture du roman Immer ist alles schön de Julia Weber. La narratrice, Anaïs, 12 ans environ, aimerait partir en vacances avec sa mère et son petit frère Bruno. Elle rêve de feux de camp et d’être ailleurs, loin de leur appartement en ville et de l’alcoolisme de la mère. D’entrée de jeu, on part d’envies simples, d’une situation concrète, et puis quelque chose s’évade du quotidien. «Feuer und Ferne»: deux substantifs avec le même nombre de syllabes, une ressemblance visuelle et phonétique, l’absence d’article aussi, qui renvoie aux noms abstraits, comme «Liebe» ou «Hoffnung». Et, derrière ces deux mots, l’écho de deux autres, souvent associés: «Feuer und Flamme» («tout feu, tout flamme»). Dès la première phrase, le rythme de la langue de Julia Weber s’impose. Sa structure aussi: Anaïs veut des vacances avec quelque chose, Bruno sans quelque chose.

Du point de vue de la traduction, cela signifie qu’il faut prendre en compte tous ces éléments pour tenter de restituer ce qu’il y a de vivant, de doucement palpitant dans ces premiers mots. D’en rendre le souffle et le sens. Ma traduction, «J’aimerais des vacances près du feu et loin d’ici, et Bruno aimerait des vacances sans alcool», essaye de ne pas s’éloigner de cette poésie du quotidien qui caractérise tout le livre et de préserver ce mouvement qui part du concret pour aller ailleurs – s’évader grâce aux mots d’un quotidien trop lourd à porter pour ces deux enfants. Le voyage tant souhaité par Anaïs et Bruno s’arrêtera au terminus du bus, dans un camping à la périphérie de la ville.

Julia Weber utilise des mots simples, et les choses qu’elle nomme sont là, présentes, sous nos yeux. Tout est dit, à travers des gestes, des odeurs, des objets, des silences. Sa langue et, à travers elle, le monde qu’elle crée sont palpables. Elle n’emprunte aucun raccourci qui consisterait, par exemple, à nommer un sentiment ou à condenser le réel dans une métaphore. Tout se construit progressivement, par répétitions, et le texte en tire une force brute. L’écriture de Julia Weber agit, elle fait, et, en ce sens, elle est toute entière performance, ou nomination-création. De là naît la force poétique du livre: d’une poésie qui renvoie à son étymologie grecque, au verbe poiein, «faire». Julia Weber nous fait ressentir la détresse et la joie de ses personnages davantage qu’elle nous l’explique.

Quand je traduis les mots de Julia Weber, je me sens chez moi. J’ai presque du mal à imaginer que je pourrais traduire un autre livre, tant j’aime traduire celui-ci. C’est un peu comme en amour, on croit toujours que c’est le dernier, qu’on ne tombera plus jamais amoureux. C’est ce désir du texte et de la rencontre avec l’autre qui est au cœur de la traduction.

Raphaëlle Lacord

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