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Que vaut un francophone en Ontario? Pas plus qu’un Chinois. En novembre dernier, le Premier Ministre conservateur de cet Etat canadien, Doug Ford, a décidé de supprimer une série de subventions destinées à la minorité de langue française: plus d’université francophone à Toronto, plus de «Commissariat aux services en français», et une forte réduction du financement des organismes culturels. Dans un pays pourtant officiellement bilingue, et sur un territoire qui fit partie de la Nouvelle-France jusqu’en 1763, Doug Ford a déclaré ne pas voir pourquoi les Franco-Ontariens bénéficieraient d’un traitement privilégié par rapport aux Chinois ou aux Italiens, chacune de ces trois communautés représentant environ 4% de la population de la province.

Que vaut un francophone en France? Moins qu’un Chinois. Du moins lorsqu’il a le statut d’étudiant et vient d’Afrique ou d’Haïti. Le gouvernement d’Edouard Philippe s’est en effet lancé, le 19 novembre dernier, dans une «stratégie d’attractivité des étudiants internationaux» joliment baptisée «Choose France», ou pour ceux qui auraient quelques notions du parler vernaculaire, «Bienvenue en France». L’objectif en est clair: «la campagne de communication ciblera davantage les pays émergents (Chine, Inde, Vietnam, Indonésie) et les pays non francophones d’Afrique subsaharienne, ceux où la connaissance de la France reste lacunaire et le potentiel important».

Emmanuel Macron l’avait lui-même annoncé quelques mois plus tôt: «La France devra accroître le nombre d’étudiants étrangers sur son territoire», afin de mieux rivaliser avec les pays anglo-saxons. Il précisait aussitôt les nationalités visées: «Etudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être.» Comme il n’est pas dénué d’humour, le Président avait intitulé ce discours, prononcé le 20 mars à l’Institut de France: «Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme» – la formule, qui ouvre un champ très large, pouvant être lue comme la convocation discrètement métaphorique de spécialités culinaires telles la ratatouille ou la potée auvergnate.

Mais il ne faut tout de même pas tout mêler dans le chaudron universitaire. Macron a donc aussi pensé aux candidats aux études d’Afrique francophone: il s’est dit fort préoccupé de leur offrir «la possibilité de suivre des formations proposées par des établissements français sans avoir à quitter leur propre pays». Il est vrai qu’on s’expose à bien des dangers, dans les rues de l’Hexagone, quand on a la peau trop sombre et qu’on écorche la belle langue française lors d’un contrôle policier. Aussi la France adressera-t-elle un chaleureux «Welcome!» aux étudiants chinois dont les cerveaux, à ce qu’il paraît, sont prisés tout autant que leurs portefeuilles, souvent assez bien garnis; alors que les Africains (et Haïtiens) un peu trop guenilleux seront prudemment invités à rester chez eux.

Encore convient-il d’arriver à se faire comprendre. La présentation du programme «Choose France» s’est donc accompagnée de l’annonce d’une hausse plus que conséquente des taxes universitaires pour les non-Européens: elles seront multipliées par 10 au niveau du doctorat, par 15 pour le master, par 16 pour ceux qui visent une licence. L’argument financier est effectivement un excellent critère de choix. Certains Africains s’y étaient montrés tout à fait réceptifs: ainsi, constatant que le coût de la vie en général les empêchait de mener des études en France, les Burkinabés s’étaient tournés vers… la Chine, précisément; non celle du continent, toutefois, mais Taïwan, qui, pour essayer d’avoir encore une place dans le concert dysharmonique des nations, a financé assez généreusement des bourses entre 1994 et 2018. En mai dernier, succombant aux sirènes pékinoises, Ouagadougou a rompu les relations avec l’ancienne Formose, entraînant une totale incertitude pour les Burkinabés qui devront se chercher de nouveaux lieux d’études. La Chine dite populaire pourrait les accueillir, sans qu’on sache vraiment à quelles conditions (notamment pour la reconnaissance des crédits obtenus); mais il semble bien certain que la France, soucieuse de ne pas trop dégarnir les amphithéâtres chinois, ne manquera pas d’encourager les Africains francophones à tourner leurs regards loin de l’Europe, et à s’exercer au mandarin.

La langue française, quant à elle, est sans doute trop distinguée pour s’asservir à des fins bassement didactiques. Du moins est-ce ainsi qu’on pourrait interpréter l’injonction d’Edouard Philippe: «Il faudra également développer l’offre d’enseignement en anglais. C’est nécessaire si nous voulons accueillir et partager nos valeurs avec plus d’étudiants non francophones. Et puisque les cursus en anglais s’accompagnent de l’apprentissage du français, ils favoriseront notre francophonie.»

Ça, non, ce n’est pas du chinois. Ce serait plutôt de la bonne vieille langue de bois.

Guy Poitry est écrivain.

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lundi 8 janvier 2018

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