Le mot de la traductrice – Mathilde Vischer

De la mémoire à l’image: Mathilde Vischer évoque Points de lumière sur le plafond, de Matteo Terzaghi.

Point de lumière sur le plafond, de Matteo Terzaghi, est une réflexion sur l’image et la mémoire et, de façon plus indirecte, sur notre rapport aux menaces qui pèsent sur le monde aujourd’hui. Quand je l’ai lu pour la première fois, en cherchant dans le livre dont il fait partie, Ufficcio proiezioni luminose, des textes à faire traduire à mes étudiants en traduction, j’ai été frappée par quelques images très fortes, qui me semblaient exprimer avec précision et justesse certaines impressions restées jusqu’alors confuses. Le texte progresse par associations et Matteo Terzaghi parvient à passer de façon subtile d’une dimension à l’autre de sa réflexion, ce qui confère au livre une richesse et une complexité particulières. Plutôt que de commenter les quelques difficultés de traduction que j’ai rencontrées, d’ordre lexical (comment un projecteur de diapositives peut-il avoir une manivelle et projeter des images fixes en continu?1>Il se trouve que l’auteur, après avoir lu ma question, s’est rendu compte qu’il aurait fallu en réalité modifier le texte original…) et d’ordre philosophique ou conceptuel (qu’entend précisément l’auteur lorsqu’il parle d’«aldilà» ou de «condizioni di un altro tempo»?), résolues dans un dialogue avec l’auteur, j’aimerais m’arrêter sur quelques aspects du texte qui m’ont interpellée et qui m’ont donné d’emblée l’envie de le traduire.

Après avoir établi un rapprochement entre un film à images fixes à caractère religieux de son enfance et le film La Jetée de Chris Marker (qui n’est cependant nommé que bien plus loin) et les questions existentielles qu’ils posent, l’auteur analyse la relation entre temps et image dans La Jetée, ainsi que notre rapport au devenir de l’humanité. J’ai tout d’abord été saisie par une plongée dans mes propres souvenirs très puissants du film La Jetée, immédiatement identifié, qui m’a donné une sensation en quelque sorte mimétique par rapport à ce que disait le texte et à ce qui s’y produisait, puis par la réflexion que l’auteur mène sur notre propre condition. Pour Matteo Terzaghi, ce film interroge les possibilités d’un temps autre, d’un temps possible dans un après, un «au-delà», que nous effleurons jour après jour davantage, me semble-t-il. Comme il le dit si justement, les vraies images de destruction du monde, d’apocalypse, ne sont pas celles que les médias nous proposent, elles se cachent dans certains événements du quotidien qui font figure d’allégorie, ou dans des faits divers plus tragiques, mais dont la portée reste somme toute limitée, comme celle qu’il décrit dans le texte et qui m’a particulièrement marquée. L’une des lectures possibles de cette allégorie des enfants morts enfermés par eux-mêmes dans un frigo est bien évidemment l’impasse dans laquelle nous nous sommes mis en épuisant les ressources et en détruisant la biodiversité de la planète, et la menace d’entendre le claquement de la porte qui se referme sur nous se fait de plus en plus insistante.

La lecture que fait Matteo Terzaghi du film de Chris Marker, auquel il revient ensuite, montre notamment que le salut de ces hommes prisonniers de leur propre destruction se trouve non pas, comme ils le pensent, dans l’avenir, mais bien dans le passé, aussi tragique l’issue de ce retour à l’image originelle et obsessionnelle du protagoniste soit-elle. Au-delà du questionnement qui clôt le fait divers des enfants prisonniers de leur propre jeu («Mais une image sans contours, noire, obscure comme l’intérieur d’un frigo une fois que la poignée a claqué, est-ce encore une image, ou est-ce la négation de toute image possible?»), la conclusion de Matteo Terzaghi, elle, est tout sauf pessimiste: quelle que soit la situation de l’être humain – des hommes et des femmes reclus dans un abri antiatomique ou deux enfants fixant jusqu’à l’endormissement les points de lumière sur le plafond –, l’image mentale ou réelle est ce qui demeure «le plus précieux», ce qui permet la survie de l’esprit ou l’abandon dans un sommeil salutaire.

J’ajouterai que cette image ou «vision» – puisque c’est aussi un terme que l’auteur emploie – peut être également celle, immatérielle, fugace, qui apparaît au traducteur lorsqu’il s’efforce de transmettre un texte qui lui semble important.

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