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Superstar mais aussi menteur

Un reporter du magazine Der Spiegel a inventé tout ou partie de ses reportages.
Superstar mais aussi menteur
Claas Relotius, journaliste vedette au travers duquel le scandale frappe aujourd'hui "Der Spiegel". KEYSTONE
Allemagne

Les 39 jurés du prestigieux Prix allemand du reporter n’ont pas dû conférer longtemps sur le cas de Claas Relotius. Hier matin, l’association Reporter-Forum qui décerne le prix et œuvre pour un «journalisme de qualité», a expliqué que celui-ci avait fait savoir qu’il regrettait tout et rendait les quatre prix obtenus en 2013, 2015, 2016 et 2018.

Peu de temps après, la chaîne américaine CNN International annonçait qu’elle lui retirait le titre de Meilleur journaliste de presse écrite 2014. La star désormais déchue du journalisme allemand, lauréat du Swiss Press Award 2012 catégorie espoir, devrait bien vite recevoir d’autres désaveux de cet acabit.

De quoi ce journaliste de 33 ans est-il coupable? Mercredi dernier, la rédaction en chef du magazine Der Spiegel, son employeur, a convoqué une assemblée générale du personnel pour annoncer que Relotius, apprécié de tous pour son humilité, sa gentillesse et sa formidable plume, avait abusé tout le monde et inventé tout ou partie des 55 reportages publiés dans le journal. Confondu par un collègue, le jeune homme a tout avoué la semaine dernière. Puis il a démissionné. Dans une moindre mesure, d’autres journaux comme la Süddeutsche Zeitung, Die Zeit, la Frankfurter Allgemeine Zeitung ou encore la Neue Zürcher Zeitung, sont touchés par le scandale.

Petites invraisemblances

«Ce sont de petites invraisemblances qui m’ont mis la puce à l’oreille», a expliqué son collègue Juan Moreno, qui a découvert le pot aux roses en travaillant avec lui sur une histoire de milice citoyenne américaine à la frontière mexicaine. Par exemple quand Relotius explique que ses principaux protagonistes ont refusé d’être photographiés. «Je savais que l’un d’entre eux avait fait l’objet d’un documentaire nominé aux Oscars. Et je n’ai pas compris pourquoi cet homme refusait d’être pris en photo», explique Moreno.

Aux yeux des patrons du journal, les doutes de Moreno pèsent moins que la réputation d’un jeune homme. Le journaliste mène alors l’enquête seul et en secret: «Je suis allé à Las Vegas pour interviewer un boxeur. Et là, j’ai pris contact avec les gens de la milice interviewés par Claas. Ils m’ont tout de suite répondu qu’ils étaient d’accord pour me rencontrer en échange d’un défraiement de 200 dollars», poursuit-il. C’est après un détour de 800 km que le journaliste découvre la triste vérité. Relotius leur a bien envoyé un mail. Mais il ne s’est jamais déplacé à la frontière américano-mexicaine et a presque tout inventé.

Un esprit malade

Dès lors que le mensonge est connu, la verve du jeune journaliste n’apparaît plus que comme le misérable subterfuge d’un esprit sans doute malade: «Cela me déchire le cœur. Mais comment peut-on utiliser une victime du nazisme pour se faire briller?», s’indigne le chef du service étranger du Spiegel Mathieu von Rohr sur twitter.

En septembre dernier, Claas Relotius, qui justifie ses égarements par la pression du succès, a effectivement interviewé la dernière survivante du groupe de résistance au nazisme La Rose blanche. Mais il en a inventé de nombreux extraits. Tout comme il a inventé une part de l’histoire primée d’un jeune Syrien.

Le journal veut réagir

Au Spiegel, où le moral est évidemment au plus bas, on essaie de réagir le plus professionnellement possible. Une commission interne a été chargée d’enquêter sur les fautes de Relotius, autant que sur les raisons pour lesquelles personne n’a détecté la supercherie. Le nouveau rédacteur en chef Steffen Klusmann a aussi évoqué la possibilité de renforcer des règles de contrôle déjà strictes, même si «une rédaction doit bien sûr pouvoir faire confiance à ses propres collaborateurs».

Le cas Claas Relotius, tout comme le fut celui du plagiaire suisse Tom Kummer dans les années 2000, est en tout cas un signal d’alarme pour une profession dont la légitimité morale et les moyens de subsistance dépendent essentiellement de la livraison d’une information indépendante, vérifiée et «non alternative». LA LIBERTÉ

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