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Violences sexistes. Et les médias?

DécadréE milite pour une presse plus égalitaire qui ne nourrit pas les stéréotypes de genre, de classe et racistes. L’association féministe romande lance aujourd’hui un «Manifeste pour un meilleur traitement médiatique des violences sexistes» déjà fort de 120 signatures*, auquel Le Courrier  s’associe. Publication in extenso.
Violences sexistes. Et les médias? 1
bonnes pratiques

En Suisse en 2016, 532 femmes ont été violées et 736 ont subi des contraintes sexuelles. Pire encore, 36 femmes sont mortes sous les coups de leur partenaire. Ces chiffres montrent déjà une réalité révoltante, qui concerne une femme sur trois, selon l’OMS. Pourtant, ils sont loin de représenter la réalité. Les statistiques policières sont dévalorisées, car les faits de violences sexistes1>Par violences sexistes, nous entendons tous les actes à caractère violents ou/et sexistes de la blague sexiste, au meurtre en passant par le viol et le harcèlement sexuel. Ces violences renforcent le pouvoir et les privilèges des hommes-cis (cisgenre: personne dont le genre assigné à la naissance coïncide avec le genre avec lequel la personne se définit) sur les femmes et donc le patriarcat qui structure la société. Elles sont sexistes, mais peuvent aussi être empreintes de lesbophobie, de transphobie, de racisme et de toutes formes de discriminations. sont encore gardés sous silence.

Dénoncer une violence, c’est prendre le risque de devoir faire face à une justice brutale, peu ou pas sensibilisée à ces questions. C’est prendre le risque aussi de voir son histoire reprise et déformée dans les médias. Déformée, car les articles se retrouvent parfois empreints de mythes issus de la culture du viol. Les violences s’en retrouvent alors justifiées et les articles deviennent ainsi eux-mêmes vecteurs de cette culture. Mais plus encore, ils sont pour la victime une nouvelle violence. Elle est délégitimée, remise en question, dépossédée de son histoire.

Afin que les faits prennent le pas sur des mythes et des représentations erronées;
Afin que la presse participe à mettre au jour la réalité des violences;
Afin que les victimes n’aient plus peur de dénoncer;

Nous demandons

• D’en parler pour sensibiliser et révéler cette réalité. Les violences sexistes sont la manifestation d’une société patriarcale, où plus de 80% des victimes de violences sont des femmes. Le sentiment de culpabilité et de solitude des victimes les empêche souvent de témoigner. De plus, la réponse inadéquate du système policier et juridique aux besoins des victimes n’encourage pas la libération de la parole. Seules 34% des affaires obtiennent une réponse pénale, tandis que la plupart sont classées sans suite. Les médias ont une responsabilité dans la mise en lumière de l’aspect systémique des violences. L’art. 6 de la Convention d’Istanbul demande ainsi une implication des médias dans la prévention des violences sexistes.

Briser le tabou et thématiser le phénomène de société, contribuer à sensibiliser le public afin de prévenir ces abus, et remettre en question l’aspect systémique des violences sexistes, y compris via la mise en lumière des bonnes et mauvaises pratiques.

 

• De traiter les violences sexistes comme un fait de société. Les violences sexistes ne sont pas un fait anodin ou ponctuel. Elles sont sociétales et structurelles. Les statistiques, qu’elles soient suisses ou mondiales, montrent l’ampleur de ce phénomène. En instaurant un ordre de la peur et de la honte, en restreignant la liberté des femmes, les violences participent à la hiérarchisation de la société et renforcent le pouvoir des hommes-cis.

Révéler l’ampleur du phénomène, utiliser des statistiques nationales ou internationales, solliciter les associations et institutions pouvant témoigner de cette réalité met en évidence cette vérité. Parler des violences dans leur globalité et ne pas focaliser uniquement sur les violences les plus visibles sont des moyens de mettre en évidence les violences comme un mécanisme global.

 

• D’éviter les articles sensationnalistes. Les violences sexistes sont des faits réels, symptômes d’une société patriarcale, qui relèvent de la justice. Elles ne sont pas une histoire à raconter pour susciter l’attention. En choisissant des titres sensationnalistes ou des images choquantes, en simplifiant les faits pour les rendre plus accessibles et sensationnels, les médias contribuent à perpétuer des mythes sur les violences envers les femmes* et ainsi à les justifier.

Révéler les faits de manière objective, éviter les titres et manchettes racoleurs et les images à caractère violent contribue à restreindre le caractère sensationnaliste des actualités ayant trait aux violences sexistes.

 

• D’utiliser un vocabulaire clair et précis. Les mots influencent directement la société et nos représentations. Or, dans le cas des violences sexistes, le vocabulaire de l’amour et de la séduction se mêlent fréquemment au vocabulaire des violences. Pire encore, d’autres occurrences réduisent l’impact des violences sur la victime et leur illégalité. Ces termes participent à banaliser les violences et les minimisent. Une violence sexiste, dont la définition se base sur l’absence de consentement, n’a rien en commun avec une relation amoureuse ou un rapport de séduction mutuellement consentis.

Utiliser un vocabulaire clair et précis en se basant sur les termes utilisés par les acteurs et actrices luttant contre les violences sexistes, éviter le vocabulaire amoureux ou de séduction et des termes minimisant l’impact des faits permet de décrire les violences avec justesse.

 

• De révéler la diversité des agresseurs. Les violences sexistes ne sont pas le fait d’hommes malades, débordés par leurs émotions, alcoolisés ou fous. Elles sont le fait d’hommes ordinaires, de maris, de pères, de fils, de frères ou d’amis. Ils vivent et prennent part à un système, dont ils sont les privilégiés. Les violences ancrent leur domination et ne correspondent en rien à la démonstration d’une folie ou d’une pulsion. Le mythe de l’agresseur parfait participe à délégitimer les victimes ne correspondant pas à ce scénario.

Dresser le portrait réel de l’agresseur, ne pas accentuer ses émotions ou ses tares, signaler le pouvoir en jeu et ne pas omettre qu’il y a des victimes et des agresseurs montre que les violences sont une réalité quotidienne et non le scénario d’un film de science-fiction.

 

• De respecter la sphère privée de la victime. Au regard des droits humains, les victimes ont droit au respect de leur sphère privée individuelle (art. 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Nul ne doit divulguer des faits relevant de l’intimité de la victime sans son consentement, y compris de la part de témoins. Ce droit revêt également l’importance pour la victime de se définir comme elle l’entend et que son choix soit respecté par les médias. Le non-respect de ce droit entraîne la double peine de la victime, doublement victimisée, et dont la parole n’a pas été prise en compte. L’enjeu du respect de l’intimité de la victime est de favoriser la prise en charge de la victime et son rétablissement, plutôt que de victimiser davantage, voire la rendre coupable.

Respecter l’intimité de la victime pour ne pas lui infliger une seconde peine et parce que le respect de la sphère privée est un droit fondamental et moral que toute personne doit préserver.

 

• De ne pas culpabiliser la victime. Les victimes de violences sexistes vivent souvent avec un sentiment de honte et de culpabilité. Aujourd’hui, les institutions policières, juridiques et les médias ont tendance à renforcer ce sentiment en mettant l’accent sur certains éléments du contexte et de la vie de la personne victime. «Comment étiez-vous habillé-e?», «Aviez-vous bu, pris de la drogue, n’aviez-vous pas accepté de monter chez lui?» Tout autant de questions inappropriées qui retournent la suspicion vers la victime et ont pour effet de la culpabiliser tout en minimisant le crime du véritable agresseur.

Respecter la parole de la victime et ne pas renforcer son sentiment de culpabilité, ne pas minimiser le crime de l’agresseur en utilisant de façon inadéquate des éléments de contexte ou de comportement de la victime à son encontre.

 

• D’enquêter et décrire l’escalade de la violence conjugale. La violence ne s’arrête pas à l’entrée de l’intimité et s’immisce souvent au sein du couple. Dans cette situation, c’est souvent les cas les plus violents d’homicides qui font la Une, mais la violence débute avant. Elle répond à une dynamique de l’escalade de la violence. D’abord isolées et dévalorisées, les femmes subissent de la violence psychique et verbale sur le premier palier, au second palier la violence physique prend le dessus, puis la violence sexuelle intervient au troisième palier pour finir au quatrième palier par le meurtre. Chaque homicide est donc le signe que la violence a monté chaque palier. La grossesse ou la rupture peuvent notamment être des déclencheurs induisant une montée en puissance de la violence.

Enquêter dans le respect de la vérité et de la sphère privée pour montrer l’escalade de la violence, décrire cette réalité complexe de la violence conjugale et ne pas uniquement mentionner un fait ponctuel illustre cette réalité.

 

• De dévoiler les mécanismes du harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel se définit par la loi, art. 4 de la LEg, comme un acte inopportun à caractère sexuel ou sexiste, qui peut être soit répété, soit ponctuel. Cependant pour montrer la réalité du harcèlement sexuel, il ne faut pas s’arrêter aux actes, mais dévoiler les mécanismes sous-jacents. L’ambiance au sein de l’entreprise, les valeurs et les directives transmises aux employé-e-s jouent un rôle essentiel. L’entreprise est d’ailleurs contrainte selon l’art.5 al.3 LEg de mettre en œuvre des mesures pour prévenir, mais également faire cesser le harcèlement sexuel. Plus encore, le harceleur n’obéit pas à une pulsion incontrôlable et ponctuelle. Il prépare son action en mettant en place un processus calculé de domination qui accule la victime.

Révéler la responsabilité de l’entreprise et l’ambiance quotidienne en son sein, décrire les processus dans son ensemble et l’escalade qu’il entraîne permet de révéler la réalité du harcèlement sexuel.

 

• De bannir les stéréotypes de genre. Les stéréotypes de genre servent à catégoriser les objets de notre quotidien. Appliqués à des sujets, les stéréotypes fondent les préjugés et la discrimination, sur la base d’une dualité opposée. Dans le cas des violences sexistes, les stéréotypes de genre invitent à qualifier les actes ou attitudes des victimes et des agresseurs et peuvent légitimer les violences. Ces stéréotypes imprègnent nos représentations, favorisent les préjugés infondés et participent à discriminer et à diffuser la culture du viol, selon une hiérarchisation entre femme et homme. L’art. 6 de la Convention d’Istanbul demande ainsi une politique sensible au genre de promotion de l’égalité.

Bannir les stéréotypes genrés pour qualifier les agresseurs ou victimes de violences sexistes et apporter un regard avisé sur les faits permet d’éviter la reproduction des préjugés et discriminations.

DécadréE

DécadréE est une association féministe romande créée en 2016. Partant du constat que les médias influencent la société et ont une portée politique, elle promeut l’égalité dans la presse et la lutte contre les stéréotypes. L’association accomplit un travail de lobbying auprès de la Confédération et des cantons, propose des formations en milieu professionnel et scolaire (images, violences sexistes, écriture inclusive…), assure une publication régulière d’articles en ligne et organise des événements de sensibilisation grand public. CO
http://decadree.com/

Notes[+]

* Parmi ses 120 premiers signataires, le manifeste compte des personnalités politiques ainsi que des représentant-e-s des milieux associatif, intellectuel, culturel, syndical et des médias. Accès en ligne: www.decadree.com/manifeste.

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