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Bagnole

Michel Bühler questionne l’avenir des transports et souligne l’impossibilité du piège «tout bagnole».
A rebrousse-poil

Un seul véhicule automobile circulait dans le quartier de mon enfance, à Sainte-Croix: la camionnette d’un artisan maçon. Les ouvriers qui travaillaient dans les grandes usines et habitaient sur place se déplaçaient à pied ou à vélo. Ceux qui montaient d’Yverdon prenaient le train, ceux de Pontarlier venaient en autocar.

Maintenant, à l’aube comme au crépuscule de chaque jour ouvrable, ce sont plusieurs centaines de voitures qui traversent mon village en une file ininterrompue. Matin et soir, plusieurs centaines de fois, 1,5 tonne de ferraille et de technologie passe sous ma fenêtre, transportant généralement un seul humain, répandant dans l’atmosphère CO2 et gaz divers.

Dans tous les pays industrialisés, vous verrez, aux mêmes heures, les mêmes processions de bagnoles, les mêmes fumées sortant des mêmes pots d’échappement.
Attention, loin de moi l’idée de condamner ceux qui sont contraints de parcourir chaque jour des distances considérables!

Il s’agit d’examiner un système. Pourquoi, en l’espace de soixante ans, est-on passé de l’unique camionnette du maçon à ces cohortes de voitures?

Durant des siècles, le lieu de travail a été proche de celui du lieu de résidence. On habitait généralement l’agglomération dans laquelle on gagnait sa vie. Après le milieu du XXe siècle, les entreprises, de plus en plus nombreuses, ont eu tendance à se rassembler près des grandes voies de communication. Le travailleur n’a plus trouvé à sa porte l’usine, l’atelier dans lequel il pouvait espérer être embauché. Les malins qui dirigeaient l’économie clamèrent: «Faites comme les Américains, déplacez-vous!»

Le prix des automobiles était entré dans les limites du raisonnable: on se mit à imiter gaiement nos grands cousins.

Le transport privé se banalisant, les cités-dortoirs, les innombrables fermes rénovées, les quartiers de villas ont fleuri: les lieux d’habitation, plus confortables, étaient de plus en plus dispersés.
Parallèlement, on concentrait les services publics – hôpitaux, administrations, écoles – dans les grands centres. En périphérie, dans les zones commerciales, les centers de tous poils s’épanouissaient. Et – surtout en France, notre voisine – on stigmatisait de nombreuses lignes de transports en commun devenues, trop visiblement, non rentables, avant de les supprimer.

Le piège du «tout bagnole» s’était refermé. Impossible désormais pour une énorme partie de la population de vivre le quotidien en simple piéton!

Joli coup pour les employeurs qui économisaient sur les transports de matières premières et de produits finis. Jackpot pour les constructeurs de véhicules, pour les producteurs d’énergie – principalement de carburants.

Mais sale coup pour les employés qui ont vu s’accroître le coût de leurs déplacements et le temps qu’ils passaient sur la route. Mais catastrophe pour l’environnement, le climat, pour la planète!
Les nuisances que provoquent les tonnes de gaz rejetées par les véhicules à moteur sont avérées. Il faudrait de toute urgence cesser ces émissions! Comment?

Le gouvernement français a prévu d’augmenter les taxes sur les carburants. Bon sang, mais c’est bien sûr: quand ils seront assez chers, on s’abstiendra de brûler des dérivés du pétrole! Un exemple à suivre? Le problème c’est que, dans l’immédiat, la quasi-totalité du parc automobile mondial est équipé de moteurs thermiques. C’est qu’empêcher brutalement les gens de rouler avec leurs véhicules actuels, devenus indispensables, c’est les condamner au licenciement, c’est risquer l’effondrement d’une société invivable sans la bagnole.

Alors encourager le co-voiturage? D’abord, l’air du temps est encore au chacun pour soi. Ensuite, pour que ça marche vraiment, il faut qu’à un bout du tuyau les passagers habitent près les uns des autres, et qu’à l’autre bout ils travaillent aux mêmes heures au même endroit. Pas facile…

Les «faut qu’on» et les «y a qu’à» ont la solution imparable: accélérons la «transition énergétique», ne roulons plus qu’avec des moteurs électriques! Ouais… D’abord les nouvelles voitures ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Et combien de millions de véhicules faudrait-il, à très court terme, jeter à la casse sur la planète? Combien de millions d’autres faudrait-il fabriquer? Combien de millions de tonnes de CO2 seraient rejetées dans l’air au cours de ce processus? Et, surtout, où irait-on ensuite chercher toute l’énergie qui permettrait de maintenir l’importance de nos déplacements à son niveau actuel?

Que faire?

Dernier roman: Retour à Cormont, Bernard Campiche Editeur, avril 2018. www.michelbuhler.com

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