Édito

L’urgence du passé

L'urgence du passé 1
Des soldats en poste à l'intérieur du Palais fédéral durant la grève générale de 1918. KEYSTONE/ARCHIVES

Vendredi soir à Genève, on commémore le massacre par l’armée de treize manifestants antifascistes et badauds le 9 novembre 19321>17h, devant Uni-Mail.. Traditionnelle, la cérémonie aura cette année un caractère un peu particulier, puisqu’elle se déroulera une centaine de mètres plus au sud. Après une longue bataille, la pierre commémorative a pu – enfin! – être déplacée à l’endroit précis de la fusillade. Détail? Signe surtout des difficultés à réaliser le travail de mémoire, en particulier celui qui redonne sa place aux vaincus. Faut-il rappeler que l’on doit l’existence de la «pierre» à un coup de force, en 1982, des ouvriers du bâtiment?

Autre particularité, l’événement coïncide cette année avec le centenaire de la première et unique grève générale du pays. Quelque 250 000 ouvriers – eux aussi largement oubliés – avaient débrayé durant trois jours. Leurs revendications, alors violemment rejetées, seront quelques décennies plus tard le socle du compromis social helvétique du XXe siècle: AVS, semaine de quarante-huit heures, droit de vote des femmes, proportionnelle.

L’occultation de ce mouvement – à l’instigation des autorités comme de la gauche – a longtemps servi de caution à la paix du travail et à la concordance. Faisant croire que les progrès étaient fils de la générosité et de la docilité, et non de la lutte et du rapport de force. Un ostracisme encore d’actualité dans la Suisse officielle, comme l’indique sa grande discrétion en ce centenaire. Du côté syndical, en revanche, l’héritage commence heureusement à prendre sa juste place.

On le sait peu mais la grève de 1918 porte en elle les prémices de 1932. Dans son déclenchement, qui répond à l’occupation par l’armée de Zurich et de Berne. Dans sa conclusion, qui verra la troupe intervenir contre les grévistes et abattre trois ouvriers à Granges.

A l’heure où l’armée suisse peine à démontrer une autre utilité que la défense de «l’ordre intérieur». Quand Macron, dépeceur des conquêtes de la Résistance française, vante Pétain et la boucherie de Verdun. Au moment où l’Italie et l’Allemagne ne semblent plus immunisées contre l’extrême droite et que l’Eglise espagnole accepte que le criminel Franco trône dans sa cathédrale de Madrid. Quand un nostalgique de la dictature est plébiscité par les Brésiliens, on se dit que cultiver cette mémoire est plus que jamais notre devoir.

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Opinions Édito Benito Perez

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