Genève

De curieuses fréquentations

Les explications de Guillaume Barazzone sur son voyage à Abu Dhabi laissent quelques zones d’ombre, notamment sur les personnalités qu’il y a rencontrées.
De curieuses fréquentations
Guillaume Barazzone Guillaume Barazzone a reconnu s’être rendu à Abu Dhabi en novembre 2017, pour assister notamment au Grand Prix de Formule 1. Mais l'élu refuse pour l'heure de répondre aux médias. JPDS
Voyage à Abu Dhabi

A quel montant s’élève le prix du séjour? Le maire de Genève peut-il accepter un tel cadeau? A-t-il été entièrement financé par un ami? A aucun moment n’a-t-il songé que cela pouvait tomber sous le coup de la loi (acceptation d’un avantage indu)? Ces questions, et quelques autres, nous les avons posées au conseiller administratif et conseiller national Guillaume Barazzone, qui a refusé d’y répondre, renvoyant à son communiqué de presse de la semaine précédente.

Il y indiquait réserver l’intégralité de ses propos au Ministère public. Le fait que la justice enquête exonèrerait-il un magistrat de répondre aux légitimes questions des citoyens qui l’ont élu? Celles du Courrier seront reprises à son compte par l’élue Maria Perez (Ensemble à gauche) en vue de la prochaine séance du Conseil municipal.

Pour mémoire, Guillaume Barazzone a reconnu s’être rendu à Abu Dhabi en novembre 2017, pour assister notamment au Grand prix de Formule 1. Il l’a annoncé lors de la dernière séance du Conseil municipal, en réponse à une question de Maria Perez. Un séjour privé, selon ses dires, pris en charge par un ami espagnol résidant aux Emirats. Un récit assez semblable à celui tenu il y a un an par Pierre Maudet, avant qu’il ne soit prévenu d’acceptation d’un avantage par le Ministère public. Dans le cas présent, le procureur général a ouvert une procédure pour acceptation d’un avantage contre inconnu, et Guillaume Barazzone y revêt la qualité de personne appelée à donner des renseignements.

L’ami espagnol

Hugo Linares est l’ami espagnol. Avocat, il travaille pour Aras Group, une société de conseil, d’investissement et de financement d’entreprises basées à Dubaï. Questionné par la RTS, il a d’abord assuré qu’il montrerait les preuves de cette invitation, avant de se rétracter «sur conseil de ses avocats».

Le nom de cet homme de 38 ans est connu en Espagne depuis son mariage avec Alia El Assir, fille d’Abdul Rahman El Assir, homme d’affaires d’origine libanaise actif dans la vente d’armes. Les noces, qui se sont déroulées en 2016 à Gstaad et ont duré trois jours, ont été relatées par une partie de la presse ibérique.

Le beau père d’Hugo Linares est un personnage controversé, surnommé par le Vanity Fair espagnol comme «le trafiquant d’armes ami du roi Juan Carlos». En France, Abdul Rahman El Assir est également cité dans la célèbre «affaire Karachi», portant sur le financement présumé illicite de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995. Le riche homme d’affaires serait un intermédiaire clé dans des contrats d’armement avec l’Arabie saoudite et le Pakistan au cœur du scandale politique.

Nos recherches ne nous ont toutefois pas permis d’établir un lien entre ses activités économiques et celles de son gendre.

Le président de MSC

Mais ce voyage ne fut pas que touristique et amical. Il fut aussi l’occasion de rencontrer des personnalités. Ainsi, lors du Grand prix de Formule 1, le conseiller administratif PDC de la Ville de Genève a serré la main de Mohammed Ben Rachid Al Maktoum, vice-président des Emirats arabes unis, comme le montrent des images vidéo retrouvées par la RTS. On le voit également en compagnie de Diego Aponte, le président de MSC, numéro deux mondial du transport maritime, dont le siège est à Genève. Celui la même qui avait ramené en jet privé Pierre Maudet d’un voyage officiel de la Confédération à Téhéran. Diego Aponte, rencontré «par hasard», l’introduit dans la Chams Tower, une tour dans laquelle le régime reçoit ses invités les plus prestigieux.

«Diego Aponte, que je connais bien, fait partie des personnalités que j’ai saluées sur place au Grand Prix et il m’a proposé de l’accompagner quelques minutes dans la tour, car lui-même y possédait un accès pour deux personnes», a indiqué Guillaume Barazzone à la RTS.

A la lumière des ces faits nouveaux, une motion déposée en septembre 2014 par le conseiller national PDC, et exhumée par la Tribune de Genève, suscite des interrogations. Il y demandait d’introduire dans les lois fiscales une «taxe tonnage», soit une forme de forfait fiscal lié aux bénéfices dégagés par l’activité maritime.

Réaction prudente du Conseil administratif

Hier, le Conseil administratif de la Ville de Genève tenait une séance extraordinaire au sujet du voyage de leur collègue aux Emirats. Nous avons souhaité connaître sa position sur l’acceptation d’un voyage valant plusieurs milliers de francs. Ou encore son avis sur la rencontre entre Guillaume Barazzone et Mohammed Ben Rachid Al Maktoum. En vain.

Dans un communiqué diffusé en fin de journée, le Conseil administratif indique n’avoir pas été informé de ce voyage. «Il a pris acte qu’en l’état des informations fournies par l’intéressé, ce déplacement à Abu Dhabi n’a aucun lien avec sa fonction à l’exécutif de la Ville et n’a entraîné aucune dépense à charge de la Ville.»

Le désapprouvent-ils? Sans aller jusque là, l’exécutif rappelle que ses membres «doivent veiller à éviter de se mettre en situation de conflit d’intérêts, qu’il soit apparent ou avéré. La prévention des conflits d’intérêts au sens large relève des règles de bonne pratique, indispensables à l’exercice d’une fonction élective.» Les autorités municipales évalueront la possibilité de préciser certaines dispositions règlementaires qui lui sont applicables.

La conseillère municipale Maria Perez a le sentiment que le Conseil administratif ne dit pas toute la vérité. Pour protéger son collègue? «J’ai posé ma question la première fois le 2 octobre. Elle a été balayée par Sami Kanaan. Il a fallu attendre le 17 octobre pour que Guillaume Barazzone y réponde enfin.»

Elle s’interroge sur le fond. «Le Conseil administratif a-t-il la preuve que le financement de ce voyage n’a aucun lien avec le régime des Emirats ou avec Diego Aponte? Selon moi, la Ville a d’ores et déjà subi un dégât d’image et ce communiqué est une façon d’éviter de répondre aux légitimes questions que nous nous posons.»

Enfin, concernant la visite de courtoisie au Palais Eynard d’un des fils du prince héritier, venu à Genève recevoir une distinction «pour son engagement humanitaire» de la part de la banque Mirabaud, elle a coûté 37 francs à la Ville, selon Philippe Despine, son chargé de communication. CPR/COLL.: ELE

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