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De quel droit

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L’initiative «Le droit suisse au lieu des juges étrangers» soumise au vote le 25 novembre prochain veut imposer une primauté de la législation helvétique sur le droit international, comme si celui-ci constituait un carcan qui lèse la souveraineté de la Suisse. En signant des accords, ou en adhérant à des organisations, la Suisse a délibérément choisi de se conformer à des normes. En rejoignant le GATT, puis l’OMC, elle participe à la libéralisation de l’économie mondiale et accepte des règles communes à tous les membres.

Dans son initiative, l’UDC vise clairement les «juges étrangers» de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, puisque cette institution a le pouvoir d’invalider ses initiatives acceptées en votation. Les opposant-e-s ont raison de dire que l’adoption de l’initiative serait une attaque frontale contre les droits humains1>Lire l’agora «Une initiative contre les droits humains», F. Togni, en page 2 de notre édition du 16 octobre.. La Cour européenne n’est pas une institution parfaite, mais elle a néanmoins apporté quelques améliorations au droit helvétique.

Elle ne dépend pas de l’Union européenne, mais du Conseil de l’Europe, qui est la plus ancienne des institutions européennes. Fondé en 1949, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la vocation du Conseil est de rapprocher les Etats européens, de favoriser le progrès économique et social, ainsi que de protéger les «droits de l’homme» et les libertés fondamentales – deux domaines dans lesquels on peut critiquer sa passivité2>Lire A. Heiniger, «Châteaux de sable et forteresses», Le Courrier du 25 juillet 2018.. L’instrument de cette volonté est la Convention des droits de l’homme dont la Cour européenne des droits de l’homme est censée imposer les principes. N’importe qui peut porter un litige avec un Etat membre devant la Cour. Les décisions de cette dernière ont un caractère contraignant sur le droit des pays adhérents. Elle constitue une sorte de garde-fou contre une législation nationale qui serait contraire aux droits humains, pour autant que le cas lui soit soumis.

La Suisse n’adhère qu’en 1963 au Conseil de l’Europe, une fois débarrassée d’une doctrine de neutralité qui l’empêchait d’entrer dans les organisations considérées comme politiques. Ce qui ne la privait toutefois pas de participer à d’autres institutions comme l’Organisation européenne de coopération économique, l’ancêtre de l’OCDE.

Le processus d’adhésion au Conseil implique la ratification de la Convention, obligeant la Suisse à abroger deux articles d’exception de sa Constitution et à instaurer le suffrage féminin. En effet, malgré l’intitulé «droits de l’homme» de la Cour et de la Convention, le maintien des femmes dans un statut d’inégalité politique est contraire à leurs principes. Cette mesure améliore clairement les droits fondamentaux de la moitié des personnes de nationalité suisse.

L’adhésion oblige ainsi le Conseil fédéral à promouvoir énergiquement le suffrage féminin lors d’une votation populaire en 1971, alors qu’il ne le soutient que tièdement en 1959, quand 66,9% des votants le rejettent.

Les deux articles d’exception imposaient quant à eux une restriction de la liberté religieuse. Hérités du Kulturkampf du XIXe siècle, ils interdisaient l’activité des jésuites, la fondation de nouveaux couvents et l’éligibilité des ecclésiastiques dans les institutions politiques. Ils prévoyaient en outre que la création d’évêchés soit soumise à l’approbation de la Confédération.

Ce ne sont pas les seules dispositions légales que la Suisse a dû modifier. Depuis le XIXe siècle, la plupart des cantons pratiquaient l’internement administratif à l’encontre de personnes dont le mode de vie ou les mœurs posaient problème aux autorités sans qu’elles n’aient d’une manière ou d’une autre enfreint la loi. Parfois, il était possible de recourir contre ces décisions, mais pas toujours. L’internement administratif est alors considéré comme contraire aux droits humains fondamentaux et la Suisse contrainte d’abroger les dispositions légales qui le permettent et de revoir les conditions de la privation de liberté à des fins d’assistance. Ce droit d’exception est alors aboli. Comme pour le suffrage féminin, c’est l’aboutissement d’un long combat contre une mesure considérée à l’époque comme parfaitement injuste et illégitime. Demain, la Suisse va être confrontée à des propositions contre la liberté religieuse qui ciblent particulièrement un groupe de personnes. Si ces mesures sont acceptées en votation, le respect des droits humains sera clairement menacé.

Notes[+]

* Historienne.

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lundi 15 janvier 2018

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