Chroniques

Vous avez dit cornucopien?

A rebrousse-poil

Jusqu’à ce que je le découvre dans un livre1>Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil, 2015. qui m’a interpellé, je ne connaissais pas plus que vous je pense la signification de ce mot!

Un cornucopien (du latin cornu copiae: corne d’abondance) est un individu qui pense que les innovations technologiques permettront à l’homme de subvenir éternellement à ses besoins. Devant lui s’ouvre un avenir radieux, où l’intelligence humaine et les bontés de la nature (qui ne se limite pas à la Terre!) apporteront des solutions à tous les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés. Sa devise, c’est «Hardi, haut les cœurs, en avant!»

Cornucopiens, l’énorme majorité des dirigeants sur la planète, des financiers, des industriels, qui n’ont que le mot «croissance» à la bouche et ne voient de salut que dans le «développement», auquel ils accolent parfois, du bout des lèvres et comme pour mieux le faire accepter, l’adjectif «durable». Comme des poissons dans un bassin propice, ils s’épanouissent dans le capitalisme et l’ultralibéralisme.

En face d’eux, dans le domaine du climat du moins, des milliers de scientifiques, de militants écologistes, et quelques hommes politiques: Nicolas Hulot qui rend son portefeuille de ministre, Laurent Fabius qui va répétant que tous les voyants sont au rouge.

Dans leur ouvrage, après avoir relevé que les civilisations sont mortelles, Servigne et Stevens passent en revue les faits qui ont provoqué leur disparition, ailleurs et en d’autres temps. Puis ils constatent que toutes les conditions qui ont précipité la fin des anciennes civilisations sont réunies dans la nôtre, si bien qu’on peut s’attendre à ce que celle-ci s’effondre dans un avenir proche.

Les causes répertoriées? En voici quelques-unes, et ce qu’il en est aujourd’hui:

• Les catastrophes naturelles. Le rapport du GIEC publié au début de ce mois prévoit le pire si l’on ne prend pas immédiatement des mesures pour limiter le réchauffement climatique: submersion des côtes, sécheresses, ouragans, exodes de populations, famines;

• L’épuisement des ressources. Depuis quelques années, le jour du dépassement se situe aux alentours du 1er août. A cette date, nous avons consommé tout ce que la Terre peut régénérer en un an (air, eau, bois, sols fertiles, poissons). Dans les mois qui suivent, nous vivons à crédit, en puisant dans les réserves de l’année suivante;

• La fin des stocks. L’essentiel de l’énergie (pour les transports, l’industrie, le chauffage) provient des hydrocarbures, dont les réserves s’épuisent et dont l’exploitation est de plus en plus coûteuse. Sans pétrole, l’économie et le commerce s’écroulent. Et d’autres minerais, lithium, terres rares, indispensables pour les nouvelles technologies, n’existent qu’en quantités limitées;

• La pollution. Océans remplis de plastiques, terrains saturés d’engrais et de pesticides, avec pour conséquences la disparition de dizaines d’espèces vivantes, coraux, abeilles, etc.;

• La faillite des systèmes financiers. Voir la prochaine «crise», que l’on annonce aussi fracassante qu’inéluctable;

• Le creusement des inégalités, et l’orgueil démesuré qui pousse à croire qu’une civilisation est éternelle…

Attention, il suffit qu’une seule pièce du puzzle se brise pour que tout le système s’écroule! Et en réparer une seule ne résoudra pas les problèmes posés par les autres. Par exemple, trouver une alternative au pétrole ne réduira pas les inégalités entre peuples et individus, pas plus qu’un peu de modestie n’empêchera les typhons.

Il faudrait donc, immédiatement et simultanément: cesser la production de gaz à effet de serre, réduire drastiquement la consommation de biens renouvelables ou pas, renoncer à la plupart de nos déplacements, nous chauffer différemment, nettoyer la terre et la mer, transformer complètement le système financier et commercial, répartir les richesses équitablement sur toute la planète…

Servigne et Stevens estiment qu’il est déjà trop tard, et que le désastre est certain.

Bien sûr, le cornucopien de service me dira qu’il ne s’agit que des élucubrations de deux catastrophistes, que le génie humain nous a déjà tirés de bien des mauvais pas, et que tout va s’arranger!

Ouais?

L’évolution récente du monde (je pense à l’Italie, au Brésil, après tant d’autres pays) et la lecture d’un autre livre2>Le triomphe de la bêtise, d’Armand Farrachi, Actes Sud, 2018., que je vous recommande également, me laissent un peu dubitatif.

Notes[+]

www.michelbuhler.com; dernier roman: Retour à Cormont, Bernard Campiche Editeur, avril 2018.

Opinions Chroniques Michel Bühler

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