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Réinventer la roue ou court-circuiter le processus démocratique?

Ignazio Cassis renvoie dans les limbes le projet d’institution nationale pour les droits humains. Les ONG suisses montent au créneau.
Suisse

L’histoire sans fin de la création d’une institution indépendante pour les droits humains (INDH) en Suisse est riche d’un nouvel épisode. L’auteur en est le conseiller fédéral Ignazio Cassis. Grâce à son intervention pour le moins paradoxale, le processus, quasiment arrivé à bon port après quinze ans de discussion, se retrouve à nouveau dans les limbes. Reste à savoir ce que cache cet atermoiement de dernière minute.

Coup de théâtre. En mai dernier, l’administration fédérale annonçait que le projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme (LIDH) serait transmis au parlement avec le message du Conseil fédéral avant les vacances d’été 2018, ou au plus tard, à la rentrée. Au lieu de cela, fuitait en août 2018 que le projet avait subi un revers préoccupant. Un article paru dans la NZZ le 14 septembre a par la suite confirmé les bruits de couloir selon lesquels le conseiller fédéral Cassis avait stoppé le projet. Il aurait renvoyé le projet de loi terminé à l’administration avec le mandat de revérifier si l’institution nationale des droits de l’homme ne pouvait vraiment pas s’inscrire dans une loi existante plutôt que de créer une nouvelle loi de financement comme cela était prévu. Le Conseil fédéral est-il donc revenu sur sa décision de juin 2016 et a-t-il décidé de retirer en cachette le projet au parlement? Peut-être que le conseiller fédéral Cassis refuse de voir cette question négociée sur le plan politique, sachant que sa position sur le sujet, comme celle de son parti, seront vivement combattues aux Chambres fédérales. Et pour cause: le PLR est le seul parti, avec l’UDC, à avoir rejeté le projet d’INDH lors de la consultation, sans grands arguments par ailleurs.

Quoi qu’il en soit, que signifie l’intervention d’Ignazio Cassis? Sa réponse à une question déposée par la conseillère nationale Ida Glanzmann le 17 septembre ajoute la confusion au doute. A la demande «Quand la loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme sera-t-elle approuvée?», le conseiller fédéral répond en effet que «nous examinons en ce moment de façon approfondie différentes variantes d’organisation pour l’institut des droits humains. Une solution compatible aux besoins suisses devrait être établie avec toute la précaution nécessaire avant la fin de l’année».

Or, l’on ne saurait croire le conseiller fédéral aveugle et ignorant au point de ne pas savoir que c’est justement cela, une solution compatible aux besoins suisses, qui a été longuement discutée entre 2004 et 2008, puis à nouveau entre 2015 et 2017, pour aboutir au projet de Loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme.

Mais peut-être n’est-ce pas le thème des variantes qui est au cœur du message du conseiller fédéral. Peut-être que l’essentiel réside plutôt dans la promesse de voir cela se faire «avant la fin de l’année». Si l’on enlève l’option qu’il s’agit d’un optimisme tout à fait démesuré de la part du politicien, on en vient à prendre cette affirmation à la lettre. A savoir que le Conseil fédéral entend user de sa compétence décisionnelle pour réaliser seul une solution qui ne comprenne ni loi ni consultation parlementaire. Cela cependant contreviendrait de façon flagrante à la déclaration d’intention du gouvernement. Celui-ci a affirmé sans ambiguïté que, quel que soit le type d’institution ou d’organisation choisi pour la Suisse, il était absolument nécessaire qu’il respecte les principes de Paris. Ceux-ci définissent les conditions minimales que doivent remplir les institutions nationales pour les droits de l’homme de par le monde et l’une d’entre elles – essentielle – est justement la création d’une base légale.

Une base légale que l’on était finalement parvenu à mettre en place en Suisse avec le projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme. Obtenu après quinze ans de lutte acharnée, de débats et de recherches sur ce qui se fait ailleurs et comment, il s’agit bien, avec ce projet mis en consultation, d’un compromis. Il ne va pas aussi loin que ce qu’aurait souhaité la société civile. La somme allouée d’un million est notamment extrêmement faible par rapport aux besoins et à tout ce qui se fait ailleurs en Europe dans des pays comparables aux nôtres.

Le projet est néanmoins soutenu par une large majorité. Plus d’une centaine d’acteurs se sont exprimés en sa faveur lors de la consultation, parmi eux se trouvent des ONG, tous les partis à l’exception de l’UDC et du PLR, les cantons et les associations économiques.

Ainsi, personne n’est dupe lorsqu’Ignazio Cassis affirme, toujours dans la NZZ, qu’il n’est pas question pour lui de renoncer à l’INDH et de remettre les droits humains en question. Si là était réellement sa position, il aurait participé de façon constructive à finaliser le projet de loi en cours et pratiquement à bout touchant au lieu de le saboter. Il est cependant bien clair que ni l’association humanrights.ch ni la Plateforme des ONG suisse pour les droits humains et les quelque 80 organisations qu’elle comprend ne resteront les bras croisés pendant que le conseiller fédéral Cassis mettra sciemment l’INDH sur une voie de garage.

* Codirecteur de Humanrights.ch Texte en version longue sur le site de l’association. Trad.: I. Michaud.

Opinions Agora Alex Sutter Suisse

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