Chroniques

Vers une grève féministe

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Samedi 22 septembre, 20 000 personnes se sont rendues à Berne. Des trains et des bus pris d’assaut pour transporter un public plus nombreux que prévu, venu, dans les rues et sur les places fédérales, crier le ras-le-bol d’attendre une égalité sans cesse renvoyée aux calendes grecques. Au centre de cette mobilisation, un seul mot d’ordre: pour l’égalité, contre les discriminations sexistes dans l’univers du travail, dans la rue, à la maison.

Qu’il s’agisse des discriminations sur le lieu de travail, du harcèlement sexuel, des inégalités de rémunération, des licenciements après le congé maternité, du temps partiel contraint, de la précarité au travers des nombreux contrats de travail d’auxiliaire ou de durée déterminée; ou encore du partage toujours largement inégal du travail ménager et de soins qui assigne de nombreuses femmes à des journées de travail sans fin. Mais aussi de la non-reconnaissance du travail de care non rémunéré dans les assurances sociales. Que l’on regarde du côté de la formation ou de la politique, les disparités persistent. Quant aux violences dans l’espace du foyer ou dans l’espace public, elles ne diminuent toujours pas. Sans oublier les discriminations multiples que vivent de nombreuses personnes parce qu’elles ne sont pas jeunes, hétérosexuelles, blanches et minces, de sexe masculin.

2018: soit trente-sept ans après l’inscription de l’égalité entre femmes et hommes dans la Constitution, et vingt-deux ans après l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’égalité qui interdit toute forme de discrimination dans les rapports de travail. Une loi qui est peu connue, peu ou mal appliquée et qui se retourne contre les femmes lorsqu’elles ouvrent une action en justice sur cette base.
Samedi, à Berne, des milliers de femmes de toutes générations, des milliers d’hommes aussi, sont descendu-e-s dans la rue pour dire leur ras-le-bol. «Assez» figurait sur de nombreuses pancartes ou badges. Le mot grève était sur de nombreuses lèvres et fleurissait dans les têtes de nombreuses personnes.

Cette manifestation vient rappeler à ceux et celles qui pensent et disent que les femmes se sont endormies qu’il n’en est rien. Entre 1991, date de la grève des femmes, et aujourd’hui, des femmes et des hommes étaient dans la rue pour crier leur colère, pour dire leur ras-le-bol. Sans ces mobilisations, la Suisse n’aurait pas de congé maternité (2005) pour ne prendre qu’un exemple. Des mobilisations qui, à l’instar de la Marche mondiale des femmes (2000), ont fait du bruit pendant des années. De nombreux rassemblements ont également eu lieu pour s’opposer à l’initiative de l’UDC remettant en cause le «droit» à l’avortement ou encore pour refuser le «paquet Berset». Dire que les femmes se sont endormies équivaut à les sous-estimer et à les invisibiliser. C’est là une pratique bien courante dans l’univers économique. Visiblement, elle se retrouve dans les sphères politiques – y compris à gauche de l’échiquier.

Les conseillers et conseillères nationales ont-ils entendu ces 20 000 voix? Cette mobilisation va-t-elle resurgir dans leur pensée au moment de l’examen, ces jours, du projet de révision de la Loi fédérale sur l’égalité? Un projet déjà très modeste qui a encore été raboté par le Conseil des Etats. La réalisation de l’égalité salariale n’est visiblement pas pour demain. Mais de nombreuses féministes ont déjà fait courir la voix: l’année prochaine, le pays sera traversé par une nouvelle grève. 2019 sera une année de revendications féministes!

* Investigatrices en études genre.

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