Chroniques

En Amazonie, la santé passe par la reconnaissance des droits des peuples indigènes

Les différents gouvernements brésiliens n’ont jamais eu comme priorité la défense des peuples indigènes, même si c’est probablement l’ancienne présidente Dilma Rousseff, écartée du pouvoir par un coup d’Etat parlementaire, qui s’est le plus opposée aux grands propriétaires terriens qui, chaque année, détruisent davantage de forêts amazoniennes pour planter du soja, du maïs ou encore de la palme: elle a posé son veto en 2012 à une loi votée au parlement qui ouvrait le droit de défricher la forêt sans aucune compensation, et sans égard aux peuples dont c’est le lieu de vie séculaire.

Hélas, depuis l’arrivée au pouvoir du président Temer, la situation des peuples d’Amazonie s’est encore davantage précarisée. Il a en effet signé en 2017 un décret autorisant l’exploitation minière de millions d’hectares de forêt et a donné son feu vert à de nombreux projets d’infrastructures, dont la construction d’une quarantaine de barrages hydroélectriques d’ici aux cinq prochaines années. Il a aussi diminué la taille des réserves naturelles et donné son approbation au gel de la cession de titres de propriété destinés aux Indiens d’Amazonie. Parallèlement, il a diminué drastiquement le budget du programme «Mais medicos» (davantage de médecins) lancé en 2013 par la présidente Rousseff, qui était une réponse à l’inégalité flagrante et massive d’accès à la santé au Brésil.

C’est dans ce contexte difficile que l’ONG locale Secoya (Service de coopération avec le peuple Yanomami), basée à Manaus, effectue un travail de fourmi en promotion de la santé. E-Changer, ONG suisse romande, finance l’activité de la Fribourgeoise Sylvie Petter, infirmière de formation, qui y travaille depuis huit ans et met ses compétences au profit du peuple Yanomami en dirigeant un programme de formation d’agents multiplicateurs de santé, dans le pur esprit de santé primaire développé par l’OMS. Comme elle l’explique: «Notre travail éducatif se fonde sur le droit des peuples originels. Au niveau de la santé communautaire, par exemple, les enseignants suivent un module intégrant l’hygiène, la prévention et l’environnement pour en faire bénéficier les enfants. La perspective consiste à obtenir un changement profond d’attitude, ce qui exigera au moins deux générations. Bien que l’éducation indigène soit reconnue par la Constitution brésilienne depuis longtemps, son implantation quotidienne se heurte à des obstacles culturels et politiques. Depuis des siècles, la conception dominante de la formation a été imposée d’en haut, visant l’‘intégration’ des peuples indigènes dans la société nationale sans tenir compte de leur histoire propre et de leurs traditions culturelles. Une telle conception verticaliste a provoqué de fortes réactions de la part des communautés indigènes, conscientes d’être des peuples qui grandissent et ne sont pas destinés à disparaître.»

Sylvie Petter, de passage en Suisse1>Sylvie Petter témoignera sur l’action de terrain menée auprès des Yanomamis ce soir à Fribourg, vendredi 21 à Delémont et samedi 22 à Genève (festival Alternatiba) dans le cadre de la campagne «Brésil: le grand pas en arrière – quelle place pour les mouvements sociaux et indigènes?» organisée par E-Changer. Rens.: https://bit.ly/2xwWjc6, insiste également sur son rôle de médiatrice pour donner aux promoteurs locaux les outils leur permettant d’appréhender la société «non indigène» – comme elle dit – mais aussi pour faire le lien avec les médecins, souvent parachutés dans une réalité qu’ils ne connaissent pas. Elle souligne la fragilité de ce lien, qui vient une nouvelle fois d’être mis à mal par l’apparition d’une épidémie de rougeole parce que le vaccin n’est plus disponible dans la région! Alors que l’idée même de vaccination a mis du temps à être acceptée par les communautés indigènes, maintenant qu’elle n’est plus remise en question, les autorités sanitaires locales ont invoqué des problèmes logistiques dans la distribution des vaccins – ce qui est inadmissible en cas d’épidémie – et les enfants meurent de rougeole!

Sylvie Petter explique encore que son travail de promotion de la santé s’inscrit forcément dans la lutte pour les droits des peuples indigènes et pour une nouvelle citoyenneté respectueuse des valeurs ancestrales. C’est la mise en application stricte de la définition de l’OMS qui dit avoir pour but d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible – la santé étant définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. C’est de la vraie santé primaire, telle qu’elle est définie par la déclaration d’Alma-Ata de 1978, et en accord avec les principes constitutionnels définissant une santé dite «différenciée» qui garantit le renforcement des systèmes de santé traditionnels et les principes d’autodétermination des peuples autochtones par la participation active de la communauté dans les prises décision.

Notes[+]

* Pédiatre FMH membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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