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Deux initiatives pour nos assiettes

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Le 23 septembre prochain, deux initiatives soumises au vote proposent de revoir le mode de production des denrées alimentaires. Elles s’inscrivent dans une tendance de plus en plus affirmée de respect de la nature, des animaux et des personnes actives dans le secteur. Elles reflètent aussi une réaction à l’évolution que connaît notre rapport à l’alimentation depuis une centaine d’années.

Avant la Seconde Guerre mondiale, la part des dépenses consacrées à la nourriture dans le budget des ménages absorbait presque la moitié des dépenses, au lieu de moins de 10% aujourd’hui. A l’époque, les moins favorisé-e-s étaient plus maigres et connaissaient la faim, alors que des études récentes montrent qu’aujourd’hui pauvreté rime plutôt avec obésité.

Ces changements sont dus à des mécanismes profonds communs à l’ensemble des pays d’Occident. Depuis le XIXe siècle, les modes de production des denrées comestibles ont connu une évolution remarquable, rythmée par deux révolutions agricoles. La seconde intervient après la Deuxième Guerre mondiale, pendant laquelle les populations d’Europe avaient connu le rationnement et, pour beaucoup, la faim. Les Etats lancent donc des politiques d’intensification de la production agricole. L’enjeu majeur est alors l’augmentation des rendements: trouver des moyens de produire plus avec moins de surface et de main d’œuvre. Les Etats renforcent les instituts nationaux d’agriculture pour stimuler la recherche. Ils favorisent les grandes exploitations par des politiques fiscales, des prêts et des subventions, incitant les paysan-ne-s à investir pour agrandir, rationaliser et mécaniser leur domaine.

En France, c’est à cette époque que la Bretagne est devenue une région d’élevage intensif des cochons avec les dégâts écologiques que l’on connaît. Le fumier trop abondant est difficile à recycler et engendre la multiplication des algues et des problèmes pour le littoral.

Cette intensification de la production et la spécialisation des régions qu’elle a entraînée rompent avec les habitudes anciennes. Avant, une exploitation était plus diversifiée. On faisait paître les animaux sur les terrains en jachère, ce qui produisait l’engrais pour des cultures ultérieures. Avec la spécialisation, les bêtes sont enfermées et mangent une nourriture industrielle; les cultures sont engraissées chimiquement. Les scandales de ces dernières années, la vache folle, le poulet à la dioxine sont aussi les résultats de cette évolution.

L’alimentation a également connu une industrialisation massive. Les produits transformés ont remplacé une partie des denrées brutes dans la confection des repas.

La mondialisation est l’autre tendance lourde qui a modifié la nature des produits consommés. Depuis le milieu du XXe siècle, les accords d’échanges commerciaux entre les pays se sont multipliés sous l’égide d’abord du GATT, puis de l’OMC. Ces politiques ont mené à une spécialisation des économies européennes d’abord, et mondiales ensuite. L’Espagne produit des tomates, la Grèce des olives, tandis que l’Allemagne construit des voitures.

Les déséquilibres économiques actuels sont aussi largement issus de ces choix, puisque les économies (post)industrielles connaissent un rendement et une croissance plus élevée, atout majeur dans un système capitaliste où cette dernière tient lieu d’évangile. Le maintien d’une activité de type primaire dans les pays du Sud, principalement tournée vers l’extraction de matières premières et la production de denrées alimentaires, a contribué à perpétuer un rapport colonial.

Dans les deux cas, cette situation a induit un écart économique toujours plus important puisque les valeurs ajoutées retombent dans la poche de l’Occident, qui accapare les activités les plus rentables.
Ces politiques ont aussi des effets sur les producteurs/trices helvétiques. La concurrence avec les denrées importées induit une pression importante sur les prix.

D’autre part, les modes de production actuels ne sont pas durables puisqu’ils polluent et épuisent les sols. Ils sont aussi une menace pour nos écosystèmes et pour les pollinisateurs (les abeilles) en grave danger malgré les immenses services qu’ils nous rendent.

Les grands groupes de distribution n’ignorent pas le malaise actuel puisqu’une part importante de leur communication met en scène une image idéalisée des paysan-ne-s et des campagnes bucoliques où paissent des vaches heureuses. C’est bien là toute l’hypocrisie du système, puisque ces mêmes firmes maintiennent une pression terrible sur les prix des denrées, permettant tout juste aux producteurs/trices de survivre. Elles prétendent respecter la nature et les humains, mais perpétuent au quotidien un système injuste et préjudiciable à notre santé.

* Historienne.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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