Édito

Liberté d’empoisonner

Liberté d’empoisonner
Mur tagué lors de la manifestation contre Syngenta et Monsanto le 19 mai, à Bâle. KEYSTONE

Dans une enquête1>https://exportationstoxiques.publiceye.ch publiée mardi, l’ONG Public Eye met en cause l’insecticide Polo dans l’intoxication de plus de 800 agriculteurs de l’État du Maharashtra, en Inde, en 2017. Une cinquantaine d’entre eux sont morts. Commercialisé par le géant bâlois de l’agrochimie Syngenta, ce produit est fabriqué à Monthey, en Valais. Sa toxicité extrême a pourtant poussé la Suisse à l’interdire sur son territoire en 2009, suivant alors une mesure prise par l’Union européenne en 2002.

«Comment est-il possible qu’une entreprise helvétique puisse exporter un produit à ce point dangereux qu’il est banni chez nous?» interroge Public Eye. Le questionnement tombe en effet sous le sens. Même si Syngenta nie toute responsabilité dans l’intoxication de ces paysans indiens, il est évident qu’une substance nocive pour les Suisses, l’est tout autant pour les populations d’autres contrées. Voire plus. Car, comme le souligne le Conseil fédéral, «dans les pays en développement en particulier, les travailleurs et les agriculteurs s’exposent, eux-mêmes ainsi que leur environnement, régulièrement à ces pesticides étant donné qu’ils ne disposent pas de l’information, de la formation et des équipements de protection nécessaires à une utilisation sûre».

Ce point, le gouvernement le relève dans sa réponse à une motion déposée à Berne en décembre dernier par la conseillère nationale écologiste Lisa Mazzone, cosignée par 41 parlementaires… tout en rejetant leur demande d’interdire l’exportation des pesticides bannis de Suisse. Cela représenterait en effet, pour nos «sages», une entrave «disproportionnée» à la «liberté économique».

La réponse est aberrante. Elle revient à dire: «Nos produits sont mortels? C’est vrai! Mais si des paysans du tiers monde sont convaincus d’en acheter, on ne va tout de même pas se retenir de faire de l’argent avec.» Face à la problématique éthique soulevée, le Conseil fédéral admettrait seulement d’introduire comme condition à leur exportation une acceptation des Etats de destination. Un défausse inacceptable quand on connaît la puissance de frappe des lobbys de l’agrobusiness, et particulièrement leur capacité à tordre toute résistance dans les pays en développement.

Il ne reste, pour l’heure, plus qu’à espérer que les Chambres entendront raison lorsqu’elles traiteront la motion. Mais c’est loin d’être gagné.

Opinions Édito Gustavo Kuhn

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