Alimentation: à qui la souveraineté?
L’application des lois de la concurrence débridée et mondialisée sur l’agriculture démontre ses effets dévastateurs, localement et globalement. En mondialisant l’agriculture, la prédominance de la concurrence a fait fi des différents niveaux de développement économique, ainsi que des enjeux naturels et climatiques.
L’éviction des paysan-ne-s de leurs terres conduit des millions d’êtres sur les chemins de l’exil, au chômage et à la pauvreté. L’injonction de «produire toujours plus avec moins», dans l’agriculture comme dans l’ensemble des activités humaines, repose sur une pseudo rationalité autodestructive, déstabilisante, qui conduit de la guerre des marchés à la guerre militaire, détruit l’environnement, le climat, péjore la santé publique, est source d’un grand gaspillage et remet en cause l’avenir des générations futures.
Le libéralisme met les producteurs sous la pression des marchés, exige une productivité sans limites qui a pour répercussion directe une industrialisation de la nature, dont le sol n’est plus qu’un support et les animaux de rente des choses. Par ailleurs, alors que la société civile exige plus d’attention portée à la nature et à la santé publique, l’Etat persiste à soumettre l’agriculture aux lois de la concurrence mondialisée dominée par l’agro-industrie. On assiste à une eutrophisation de la démocratie, à une dissociation entre l’agriculture et la société, et à une perte de la maîtrise de la politique agricole qui se limite toujours plus à nourrir le marché plutôt que les gens qui la subissent.
L’agriculture est fondamentalement une question de société, elle se pratique sur le territoire commun, habité par tous. Les agriculteurs n’ont pas l’usage exclusif de la terre. L’eau des nappes phréatiques, la biodiversité, les échanges sol-atmosphère, l’espace paysager, de même que l’avenir des prochaines générations forment d’autres usages communs. Il y a donc de nombreuses raisons à ce que la société et les agriculteurs s’opposent à l’interposition des lois du marché au détriment de la démocratie. D’ailleurs, la société civile l’a compris en s’emparant du sujet par diverses initiatives populaires. Cependant, il reste au monde agricole de choisir entre l’alliance avec la société civile et la fuite en avant du Conseil fédéral, allié de l’agro-industrie.
La votation du 23 septembre prochain sur la «souveraineté alimentaire» a le mérite de poser une question de fond. Notamment via l’article 7 qu’elle propose: «Pour maintenir et développer la production indigène, elle – la Confédération – prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en règle les volumes d’importation.» C’est-à-dire que, via la régulation des marchés, la société conserverait la maîtrise de ce qui est produit, sur la manière dont c’est produit, ainsi que sur les lieux de production, en faisant fi des aléas du marché mondialisé et boursicoté. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière mais d’un bond en avant de la démocratie, où le droit l’emporterait sur la loi de la jungle.
Le fait de choisir la démocratie plutôt que le marché redonnerait aux paysan-ne-s une légitimité populaire tendant vers la responsabilité et le civisme, au lieu de subir les sanctions du marché et la bureaucratie normative de l’Etat. Ceci permettrait aussi de reprendre la main sur les 7 à 8 milliards de francs d’argent public dépensés annuellement pour l’agriculture, et qui servent davantage à l’enterrer qu’à la sauver. Pour ces raisons, votons deux fois «oui» aux initiatives sur l’agriculture le 23 septembre prochain.
Paul Sautebin, Président Uniterre Jura – Jura Bernois.