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Vers un droit international plus égalitaire pour défendre les pays en voie de développement

Le droit international gouverne une grande part de la politique internationale. Dans ce contexte, il y a toutefois des Etats «plus égaux que les autres», relève Yusra Suedi. La chercheuse évoque des pistes pour une «décolonisation» du droit international.
Réflexion

Peu aujourd’hui affirmeraient ne pas avoir entendu parler du droit international. De l’accord nucléaire iranien au processus de Kenyatta, en passant par la célèbre Cour pénale internationale ou l’Accord de Paris sur le changement climatique duquel Donald Trump s’est retiré l’année dernière, le droit international gouverne une grande partie de la politique internationale.

C’est peut-être là que réside l’origine de ses difficultés: fruit de négociations et de décisions politiques, le droit international repose sur la prémisse que chaque Etat possède la souveraineté exclusive sur son territoire et qu’aucun autre Etat ne peut s’ingérer dans ses affaires.

Cela rend l’ensemble du système tributaire de la volonté des Etats de coopérer et de respecter ces règles négociées. En outre, il n’existe pas de «juge international» capable de punir les gouvernements ne respectant pas leurs obligations internationales – la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye régit les conflits entre gouvernements à condition qu’ils y aient consenti, et la Cour pénale internationale (CPI), un autre tribunal basé à La Haye, ne poursuit des crimes que dans certains Etats qui l’ont autorisée à intervenir, à condition qu’ils soient incapables de s’occuper eux-mêmes de la question ou s’y montrent réticents. Les Etats sont l’alpha et l’oméga du système.

En théorie, cette souveraineté étatique est attribuée de manière égale à tous les Etats. En réalité, certains Etats sont «plus égaux» que d’autres. Cela se constate à travers plusieurs injustices aperçues dans l’actualité. Pourquoi la CPI ne semble-t-elle intervenir que lorsque des pays africains sont concernés, alors que des pays occidentaux ont commis tant de crimes internationaux? Pourquoi certains Etats commettent-ils des atrocités choquantes en matière de droits humains sans être inquiétés? Pourquoi les Etats-Unis sont-ils intervenus en Libye, en Irak et en Afghanistan sans devoir rendre de comptes ensuite? Cela semble être tout sauf un système international égal.

Malgré cela, tant que la politique internationale existera, un cadre juridique permettra de réglementer les négociations, les décisions et les relations entre les gouvernements. Des étapes vers l’égalité pourraient-elles être franchies grâce à la «décolonisation» de certains aspects du droit international qui sont enfermés dans les entraves des circonstances historiques ou du pouvoir financier?

Il est difficile de s’affranchir des circonstances historiques. Le droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui permet aux Etats-Unis, à la France, à la Chine, à la Russie ou au Royaume-Uni (le «P5») de bloquer toute décision, est une porte ouverte à l’injustice au détriment des intérêts mondiaux. D’anciennes puissances coloniales gardent davantage de pouvoir de décision en droit international que d’autres. Sur le plan juridique, cette règle serait très difficile à changer, d’autant plus que le P5 ne renoncera jamais volontairement à son pouvoir.

Cette «décolonisation» peut toutefois être progressivement réalisée par d’autres moyens. Les pays en développement doivent acquérir de solides compétences juridiques internationales pour défendre leurs intérêts et prendre des décisions favorables à leur développement économique, principalement dans des domaines tels que le commerce international et le droit international des investissements. Ces pays doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour développer leurs nations indépendamment de l’aide étrangère.

Cela permettrait à ces Etats d’appliquer les droits humains de la manière qu’ils jugent appropriée sur leur propre terre souveraine sans être menacés de perdre de l’aide financière de la part des pays plus riches s’ils ne respectent pas leur compréhension des droits de l’homme.

Cela permettrait également une plus grande participation financière dans les organisations internationales et, par conséquent, un plus grand pouvoir de négociation et, parfois, des droits de vote plus importants (à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international, par exemple).
Cela permettrait de négocier des traités d’investissement bilatéraux d’une manière beaucoup plus efficace pour protéger leurs ressources naturelles.

Il ne s’agit pas d’une solution absolue et elle ne résoudra pas toutes les inégalités du système; c’est une proposition modeste afin de rendre le système juridique international certes pas totalement parfait, mais plus égalitaire.

* Enseignante en relations internationales et chercheuse en droit international public à l’Université de Genève.

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