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Eglise, pouvoir et violences sexuelles

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Les enquêtes au sujet des abus commis par le personnel de l’Eglise catholique sur des enfants se multiplient. Aux Etats-Unis, l’association Bishop Accountability recense 6721 prêtres accusés de violences sexuelles et 18 565 enfants victimes entre 1950 et 2016. Les mobilisations obligent l’Eglise à sortir du silence.

Partout, on décèle les mêmes mécanismes. Les prêtres ont profité de leur position de pouvoir pour abuser des enfants. Quand les faits ont été dénoncés, le clergé les a occultés et a protégé les auteurs plutôt que les victimes.

En Suisse aussi, des prêtres sont accusés d’abus sexuels sur les enfants qui leur avaient été confiés. Ceux-ci se sont mobilisés pour briser le silence. En réponse, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg a mandaté trois historien-ne-s pour mener une étude sur l’Institut Marini (Fribourg) où des enfants étaient placés par l’assistance publique. Leurs travaux sont publiés dans un ouvrage paru ces derniers mois1>Anne-Françoise Praz, Pierre Avvanzino, Rebecca Crettaz, Les murs du silence. Abus sexuels et maltraitance d’enfants placés à l’Institut Marini, Alphil, Neuchâtel, 2018..

Fondé sur les témoignages des anciens enfants placés et sur les archives de l’évêché, le livre issu de l’étude reconstitue avec soin les mécanismes qui ont rendu possibles les abus sur les enfants. Il replace aussi les événements dans le contexte de l’époque, sans jamais chercher à excuser les actes du clergé. Il montre que les abuseurs s’en sont pris à des enfants particulièrement fragilisés et isolés. Ces derniers connaissaient une situation de vulnérabilité structurelle, car ils portaient le stigmate de la pauvreté, conçue dans la mentalité de l’époque comme une tare transmise par la famille. Il s’agissait donc de sortir ces enfants de leur milieu pour leur donner une éducation fondée sur la moralité religieuse et le travail. L’essentiel de leur temps était en effet occupé par le domaine agricole dont Marini tirait ses ressources. Les témoins se souviennent que le travail, la discipline et les punitions étaient particulièrement durs. Celles-ci comprenaient des châtiments corporels et, pour l’exemple, certains enfants subissaient, avant l’office religieux, la «fessée ex-magistrat» devant tous leurs camarades qui étaient invités à prier pour leur «condamné».

Les abus relevaient d’une mécanique complexe très bien analysée dans le livre. Au début, l’enfant ne comprend pas l’attitude de son agresseur. Il décèle une contradiction entre les valeurs morales et religieuses que l’adulte est censé incarner et ses actes, ce qui suscite chez lui un profond malaise. Les témoins se demandent souvent pourquoi ils n’ont pas davantage résisté. Leur réaction s’explique à la fois par leur situation de vulnérabilité et le contexte d’asymétrie des rapports de pouvoirs avec leurs agresseurs. Ceux-ci étaient aussi capables de leur accorder des privilèges comme une friandise ou le droit de servir la messe alors qu’ils étaient privés de l’affection des adultes.

Les archives de l’évêché gardent la trace de deux procédures en 1954 et 1956. Elles permettent d’identifier 11 abuseurs et 21 enfants victimes. La hiérarchie ecclésiastique avait connaissance de ces faits, mais elle a toujours privilégié la protection des auteurs d’abus et de l’institution religieuse plutôt que celle des victimes. Le ton employé dans ces documents illustre une stratégie d’euphémisation et de déni. Les responsables de l’Eglise n’ont pas cherché à protéger les enfants qui leur avaient été confiés, mais à éviter le scandale. Pour atteindre cet objectif, ils n’ont pas hésité à faire pression sur les victimes. Dans les années 1930, l’évêque protestait «contre les mensonges» dans une déclaration lue en chaire dans les paroisses du district. La presse fribourgeoise a également pris parti pour le clergé et dénigré les accusateurs.

En conclusion, les auteur-e-s de l’étude mettent en garde contre l’idée qu’en faisant la lumière sur ce passé, on donne l’impression que le présent est dénué de ce type d’actes. Leur avis est qu’une partie des mécanismes qui ont rendu possibles ces violences existent toujours au sein de l’Eglise. Vu l’ampleur des abus et leur récurrence, il apparaît clairement qu’ils ne sont pas dus à quelques individus dérangés, mais bien le produit d’une dynamique systémique. Malgré quelques efforts, le clergé peine à reconnaître la dimension structurelle du problème. Dans beaucoup de pays, les dénonciations sont encore traitées à l’intérieur de l’Eglise et ne sont pas transmises au pouvoir judiciaire. Le prestige des prêtres continue de faire barrage à la parole des victimes.

Notes[+]

*Historienne

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lundi 15 janvier 2018

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