Cannabis: vaincre un tabou
Longtemps diabolisé et traqué, le cannabis helvète est aujourd’hui loué pour ses vertus thérapeutiques, vendu sous diverses formes (huile, biscuits, tisanes). Sa variante CBD, qui contient moins de 1% de substance psychotrope, est consommée tous les jours par des milliers de personnes de façon récréative ou comme une plante médicinale contre les spasmes, nausées, scléroses ou insomnies. Tout cela dans un flou juridique inhabituel pour la Suisse, dont tout le monde s’accommode.
Que de chemin parcouru en dix ans. En 2008, la réglementation du marché du cannabis avait été balayée par le Conseil fédéral, dans le cadre de la révision de la loi sur les stupéfiants, et par le peuple qui rejetait l’initiative anti-prohibitionniste «pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse».
Que s’est-il passé depuis? Il a fallu débloquer le dossier, car la réalité reste têtue: un tiers des Suisses de plus de 15 ans ont déjà consommé du cannabis. Or le marché du CBD légal, qui a explosé en deux ans, atteint déjà ses limites. Et il ne remplace pas la demande en cannabis qui «stone», vendu sur le marché noir.
Les études manquent pour contrer les idées reçues et donner une assise scientifique aux bienfaits du CBD, pour l’heure essentiellement subjectifs. A cela s’ajoutent les réticences de la pharma, peu encline à laisser des molécules naturelles, non brevetables, empiéter sur ses chimiques plates-bandes. Les milieux médicaux, qui lui sont trop souvent inféodés, rechignent à prendre parti. Quant à l’interdiction du joint récréatif pour des personnes majeures et vaccinées, elle est difficilement défendable.
C’est donc bien du courage politique qu’il faudra. Une initiative militante baptisée «Legalize It» a été retirée en avril, juste avant son lancement, face aux avancées du débat institutionnel. Car au parlement, un texte des milieux paysans verts prône la régulation de la production, du commerce et de la vente, soumis à l’impôt, avec des mesures de protection de la jeunesse. Pour l’heure, la Commission de la sécurité sociale et de la santé y est défavorable…
Le paradoxe est criant: la Suisse, pionnière dans les années 1990, se retrouve à la traîne des développements intervenus outre-Atlantique. Notamment aux Etats-Unis, qui furent les fers de lance de la répression durant des décennies! En faisant le choix de la légalisation en 2014, le Colorado s’est transformé en eldorado de la création d’emplois et des rentrées fiscales liées à la filière du chanvre. D’autres Etats lui ont emboîté le pas. Et le Canada fera de même en octobre prochain.