Chroniques

Quand l’appétit des pharmas joue avec la santé des patients

À votre santé!

On m’a rapporté deux histoires médicales qui posent un certain nombre de questions.

La première est celle d’une patiente adulte qui souffre d’un cancer du poumon pour lequel un traitement immunologique est la seule solution pour une rémission. Il est validé par Swissmedic (autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques) mais son prix, à la charge de l’assurance de base, n’a pas encore pu être accordé et défini par l’Office fédéral de la santé publique(OFSP) et, par conséquence, l’assurance de la patiente refuse de le prendre en charge. Il faut dire que c’est un traitement qui dépasse les 100 000 francs, mais qu’il est déjà remboursé dans la plupart des pays européens. La patiente doit-elle alors payer de sa poche ou chercher des fonds privés?

La deuxième histoire est celle d’un enfant de 12 ans atteint de mucoviscidose qui, comme c’est hélas souvent le cas dans cette maladie, fait des surinfections pulmonaires sévères à répétition et chez qui une thérapie génique devrait être utilisée. L’OFSP, sollicité par le médecin-traitant d’un hôpital universitaire, a répondu (dix-huit mois plus tard!) que le médicament ne pouvait pas être remboursé, faute d’accord sur le prix avec l’entreprise pharmaceutique. De nouveau, est-ce à la famille de payer les quelque 40 000 francs? et le peut-elle seulement sans s’endetter?

Des histoires comme celles-là, il y en a tous les jours dans le service d’oncologie et régulièrement dans celui de pneumologie du CHUV. Les médecins doivent donc sans cesse défendre le droit à l’accès aux soins équitable pour leurs patients et passent de nombreuses heures à négocier avec les assurances et avec l’OFSP pour trouver des solutions au cas par cas. Ils utilisent l’article 73a de l’Ordonnance sur l’assurance maladie (OAMal), qui dit que si un traitement a un bénéfice élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle, qu’il n’y a pas d’alternative thérapeutique et qu’il y a des preuves de son efficacité, même si le prix n’est pas fixé en Suisse, l’assureur détermine le montant de la prise en charge après consultation avec l’entreprise pharmaceutique. Un accord est heureusement souvent trouvé, mais dépend de «la bonne volonté» de la compagnie d’assurance. Et si certaines n’entrent pas en matière, d’autres, ayant obtenu des réductions jusqu’à 50% du prix initial, proposent que le reste soit payé par l’assuré, en contradiction avec les principes de la LAMal. Cela pose un problème éthique aux soignants et parfois, même si finalement le financement est accepté, ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines, voire des mois, ce qui met en péril l’efficacité du traitement, sauf si le patient prend en amont le risque de devoir payer in fine, ce qui est l’engrenage vers une santé à deux vitesses.

Il faut dire que le coût des traitements oncologiques a augmenté près de trois fois plus vite que le coût moyen des médicaments durant les dix dernières années et qu’il menace l’équilibre du financement des systèmes de santé, plus seulement dans les pays émergents mais aussi en Europe et, bien sûr, en Suisse. C’est un business juteux que les pharmas défendent d’arrache-pied pour s’assurer des bénéfices à plus de 10%. Et le comble est qu’une jurisprudence du Tribunal fédéral (TF) a admis qu’il n’y avait pas de base légale pour que les patients, assurances ou pharmaciens puissent contester le prix d’un médicament, et que seules les compagnies pharmaceutiques pouvaient le faire!

Concernant la thérapie génique dans la prise en charge de la mucoviscidose, le conseiller fédéral Alain Berset, en réponse à une interpellation au Conseil national, ce printemps, a dit: «Le prix demandé par le titulaire de l’autorisation n’est pas proportionné au bénéfice de la thérapie et induirait une forte augmentation des coûts par rapport à la thérapie actuelle, engendrant des frais supplémentaires de l’ordre de 52 à 60 millions de francs par année à la charge des assurances sociales.»

Pourtant, il parait urgent de trouver d’autres solutions que celle de priver nos patients d’un accès équitable à des thérapies innovantes et prometteuses sur des maladies chroniques et potentiellement mortelles. Pour cela, il faut un engagement politique fort pour trouver un modèle alternatif de financement en collaboration avec les pharmas et exiger une meilleure transparence de la définition des prix des médicaments. Il serait nécessaire de modifier l’arsenal légal pour permettre un contrôle populaire des prix et des voies de recours en cas d’abus manifestes.

Le Conseil fédéral a finalement les moyens d’agir: en émettant une «licence obligatoire», il peut permettre la commercialisation de génériques moins chers, malgré l’existence d’un brevet. Cela au nom d’un principe (de santé publique en l’occurrence) prévu par les accords de l’OMC. Mais c’est s’attaquer de front aux pharmas dont on sait qu’ils ont un lobby à Berne plus puissant que celui des assurances maladie.

Cela relèverait d’un courage politique: défendre la santé des gens plutôt que les brevets des pharmas.

* Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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