Innombrables difficultés
Ce qu’il se passe au Nicaragua nous désespère. Comme mouvement de solidarité avec le Nicaragua, nous avons condamné la violence de la répression policière et des groupes de choc dans notre premier communiqué du 18 mai dernier. Nous avions aussi dénoncé les actions violentes et armées des groupes d’opposition ou de délinquants qui manipulaient le mouvement de contestation étudiant. Depuis, la violence «des deux côtés» s’est amplifiée. Les dizaines de morts sandinistes et de policiers ou travailleurs du gouvernement ne semblent pas exister, ni pour les médias internationaux, ni pour Le Courrier.
L’édito du 6 juillet dernier annonce la couleur en parlant de «barbarie de gauche». Cela aussi nous désespère tant le simplisme d’une telle affirmation est criant. Trop facile de lancer la pierre dans le même sens que les salves, elles aussi assassines, orchestrées par des forces manipulatrices qui ne cherchent qu’à déstabiliser un pays et son gouvernement au mépris de la vie de celles et ceux qu’elles embrigadent. Une telle attitude, désinvolte nous désespère elle aussi.
Nous qui sommes en contact quotidien avec nos amis nicaraguayens. Depuis plus de trente ans, nous avons tissé des liens très étroits avec des organisations de base, issues de l’élan révolutionnaire des années 80. Avec les femmes et les hommes courageux qui les font vivre, nous avons continué à soutenir les initiatives et projets en faveur des plus démunis. Avec eux, nous avons poursuivi nos efforts de solidarité et de mobilisation sociale pour tenter de trouver un chemin vers plus de dignité.
Ce que disent aujourd’hui nos amis, les témoignages qu’ils nous apportent ne sont pas nécessairement ce que reprend en chœur la presse internationale, gavée d’informations déformées. C’est le droit de chacune et chacun de penser que les militants comme nous, engagés dans la solidarité depuis plus de trente ans, sont aveuglés par leurs espérances. Ce que nous savons et avons toujours su, c’est la force des organisations de base, la solidité de leur volonté pour aller vers un monde meilleur.
Après la défaite électorale des Sandinistes en 1990, nous avons poursuivi notre travail. Nous l’avons continué après le retour au pouvoir de Monsieur Ortega. Si ce dernier et son épouse sont effectivement loin des idéaux révolutionnaires des années 80, nos amis eux sont toujours sur la même ligne et y travaillent d’arrache-pied depuis toutes ces années. Mais ils ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain. Cela leur a valu, durant les deux derniers mois, des moments de terreur pure. Ainsi, à La Trinidad, ville jumelée avec Delémont, pour des raisons de sécurité, sous la pression et l’intimidation de 200 hommes (les délinquants comme les appellent nos amis) faisant la loi sur la route panaméricaine et dans la ville, certains ont dû quitter leur maison, d’autres quitter la ville, d’autres encore ont été kidnappés. La ville vivait sous un régime de terreur. La mise au pas par la police et les forces d’appui (mardi 3 juillet) était attendue par tout le monde. Au moment de la débandade, les opposants-délinquants ont trouvé refuge dans l’église de la ville. A leur départ, à la faveur d’une procession du saint patron organisée par la paroisse, il n’y a eu qu’à ramasser les armes planquées sous les jupes de la vierge et un peu partout dans le lieu saint. Une anecdote parmi tant d’autre, mais qui montre bien que la seule vision des événements à travers le prisme de la mal-information peut rapidement conduire à des interprétations erronées.
Aujourd’hui, toute action de la police est immédiatement transformée en attaque sanguinaire par les spécialistes de la désinformation. Curieusement, lorsque cinq policiers dans leur poste de police sont attaqués et assassinés par des hommes en armes, ni évêque pour s’offusquer, ni agence de presse pour dénoncer, ni appel au lynchage constitutionnel, rien, nada.
Prudence donc. Pour notre part, ni angélisme, ni pragmatisme. Juste la volonté de soutenir les initiatives solidaires et constructives qui perdurent dans le pays, malgré les difficultés innombrables et un gouvernement que seuls les Nicaraguayens peuvent choisir. Même si nous savons que si l’actuel tombe, celui qui risque de le remplacer (c’est d’ailleurs le grand vide à ce sujet) pourrait bien être pire!
Jean Parrat, Delémont, groupe Nicaragua, jumelage Delémont (Jura)-La Trinidad (Nicaragua)