Chroniques

L’«affaire» Melgar déchaîne les passions

A rebrousse-poil

J’en ai fait l’expérience en recevant un courriel incendiaire, me reprochant d’avoir soutenu une «lettre ouverte» émanant des milieux du cinéma, qui attaquait Fernand Melgar. Vérification faite, j’ai constaté qu’effectivement un Michel Buhler [sans tréma] figurait parmi les premiers signataires. Mais j’ai rétorqué à mon indigné que cet homonyme portait le titre d’ex-directeur du département cinéma de la HEAD, que je n’avais jamais été directeur où que ce soit, que j’étais peu enclin à me joindre à une chasse à l’homme, et que j’attendais ses excuses.

Cet incident m’a amené à constater que les auteurs de cette «lettre ouverte» se focalisaient sur le cas local du quartier du Maupas, à Lausanne, reprochaient vivement à leur collègue sa méthode de dénonciation et l’accusaient, pour avoir publié deux photos sur Facebook, de trahir la profession et de mettre en danger des dealers.

Pour préserver sa tranquillité, Melgar aurait donc dû se taire?

Echangeant quelques idées avec un ami, et enfonçant une porte ouverte – je l’avoue –, j’indiquai: «Le problème des requérants d’asile sera réglé le jour où nous cesserons de saigner l’Afrique et d’entretenir les guerres.» Après m’avoir rappelé que la question du deal de rue avait déjà été soulevée par le passé à Lausanne et avait suscité des actions de protestation de la part d’habitants des quartiers concernés sans jamais provoquer dans les médias pareille tempête, l’ami répliqua: «On pourrait faire de l’Afrique une terre d’Eden qu’aucun de ses habitants ne songerait une seule seconde à quitter, que ça ne changerait rien à la consommation de stupéfiants ici.»

Trafic de drogue et politique d’asile sont donc les deux ingrédients majeurs de ce potage.

Attention! En poursuivant cette chronique, je sais que j’avance en terrain miné, et m’attends à parer des coups venant de tous côtés! Même pas peur: je continue.

Laissons aux spécialistes le problème de la consommation.

Et parlons de ceux auxquels l’auteur de Vol spécial s’en prend: les trafiquants. Appelons un chat un chat, ce sont des bandits. Allez voir dans certains pays d’Amérique centrale où leurs gangs tiennent le haut du pavé: à tous les échelons, ce sont des assassins prêts aux pires cruautés. Allez voir dans certaines banlieues françaises où de pareilles bandes font la loi.

Il n’y a pas de gentils trafiquants.

Les dealers maintenant, ultime et minuscule maillon de la chaîne, plus précisément mis en cause… Oui, on peut relever qu’ils sont peut-être victimes de la misère et de la corruption qui règnent dans leurs pays. On peut rappeler que nos lois interdisent aux requérants d’asile d’exercer un travail légal, ce qui est honteux (pour nous!). D’accord. Mais l’immense majorité des clandestins, ou de ceux qui sont en attente d’une décision, confrontés aux mêmes épreuves, ne font pas, que je sache, commerce de stupéfiants. Et je n’ai jamais entendu parler d’un petit revendeur qui, pour soulager la misère de l’humanité, distribuerait sa came gracieusement dans un élan d’altruisme.

A ma connaissance il n’y a pas de doux dealers.

Se pose ici la question de principe: ayant des convictions de gauche, s’étant toujours positionné pour la défense des réfugiés, a-t-on le droit de réprouver publiquement les agissements de ces individus? Peut-on rappeler, comme cela a été dit cent fois, qu’une infime minorité de fricoteurs porte tort à une écrasante majorité de requérants d’asile qui méritent d’être accueillis dignement chez nous? Plus généralement, a-t-on le droit de prendre le parti des gens ordinaires? Ou faut-il, comme certains, conspuer le lanceur d’alerte et laisser agir le trafiquant?

Pour moi, se taire, c’est laisser le champ libre à l’extrême droite, qui ne cesse de bomber le torse, championne soi-disant de la défense de la sécurité, qui va ensuite, comme elle en a l’habitude haïssable, faire l’amalgame et attaquer en bloc tous les étrangers. C’est ouvrir un boulevard devant les forcenés qui rêvent de rejeter à la mer, sans distinction, tous ceux qui ne sont pas estampillés «Garanti pur Suisse».

A l’heure où la peste brune retrouve partout de la vigueur, Melgar nous rappelle que parler clair est un devoir.

(Comme il est un devoir de répéter que le gouvernement vaudois, cédant au chantage financier de Simonetta Sommaruga, applique avec zèle l’inhumain règlement de Dublin, multiplie les renvois de requérants, et interdit toujours à ces derniers l’accès au travail).

* Dernier roman: Retour à Cormont, chez Bernard Campiche Editeur, avril 2018.

Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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