Chroniques

Aggravation des inégalités

(Re)penser l'économie

Depuis trente ans, les études et les rapports relatifs aux inégalités de revenus et de richesse se suivent et se ressemblent: les écarts entre riches et pauvres ne cessent de se creuser. A ce propos, l’économiste Thomas Piketty, qui a écrit Le Capital au XXIe siècle, est revenu sur le phénomène des inégalités. En collaboration avec plusieurs économistes, il vient de publier le Rapport sur les inégalités mondiales 20181>Rapport sur les inégalités mondiales 2018, Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Le Seuil, 2018..

Dans ses conclusions, le rapport relève que les inégalités ont augmenté dans tous les pays du monde, même si elles se sont développées différemment selon les régions. Ce qui est certain, c’est que les inégalités n’ont cessé de se creuser depuis les années 1980. En 2016, les régions et pays les plus inégalitaires étaient le Moyen-Orient (61% du revenu national détenu par 1% des plus riches), le Brésil (55%) et l’Inde (55%). Les auteurs soulignent que les inégalités de revenus se sont accentuées dans une série de pays. Ainsi entre 1980 et 2016, la part du revenu national accaparé par les 10% les plus riches est passée de 21% à 46% en Russie, de 27% à 41% en Chine, de 34% à 47% aux Etats-Unis et au Canada et de 33% à 37% en Europe.

La moindre progression constatée en Europe par rapport aux Etats-Unis est attribuée par les auteurs aux politiques sociales et fiscales. Aux Etats-Unis, c’est en raison de l’effondrement des bas revenus, mais aussi à cause d’une fiscalité de moins en moins progressive et d’inégalités très fortes en matière d’éducation que le fossé s’est élargi. Abordées sous un autre angle, les inégalités s’expliquent aussi par l’accaparement de la croissance mondiale par les plus riches. De fait, entre 1980 et 2016, le 1% des plus riches a capté 27% de la croissance mondiale. Si les 50% les plus pauvres ont obtenu 12% des nouvelles richesses produites, il n’en a pas été de même pour la «classe moyenne», située par les auteurs entre les plus pauvres et les plus riches, et pour laquelle la hausse des revenus a été faible.

La période couverte par l’étude est intéressante car elle correspond au virage néolibéral de la société mondiale, qui a vu la libéralisation accrue de l’économie avec une pression constante sur la masse salariale et la remise en cause de l’Etat-providence et de la fiscalité redistributive. Le creusement des inégalités n’est donc pas une surprise, mais la conséquence inévitable des politiques économiques et sociales mises en œuvre à partir des gouvernements Thatcher et Reagan. Au contraire, la période précédente, dite des «Trente Glorieuses», avait vu les inégalités régresser dans les pays développés sous l’effet du développement des assurances sociales et des hausses de salaire découlant de la forte croissance des années d’après-guerre, basée sur le compromis fordiste de répartition relative des fruits de la ­croissance.

Une autre étude2>Oxfam France, CAC40, des profits sans partage, Basic, 2 mai 2018; version pdf: https://bit.ly/2M8aACj, réalisée par Oxfam France, éclaire sous un jour différent la question des inégalités en partant de la rémunération de l’actionnariat. En prenant en considération les entreprises du CAC40, dont le chiffre d’affaires représente plus de la moitié du PIB français, les auteurs ont analysé comment s’effectue la répartition des bénéfices entre 2009 et 2016. Résultat: sur cette période: 67,4% des bénéfices sont allés aux actionnaires, 27,3% aux investissements et 5,3% aux salariés sous la forme de primes d’intéressement. La rémunération des actionnaires a progressé quatre fois plus vite que celle des salariés entre 2009 et 2016. Rejetant le mythe du petit porteur, Oxfam montre que les versements record de dividendes bénéficient à une minorité fortunée et contribue ainsi à accroître les inégalités.

Nul doute que les futurs rapports sur ce sujet vont conforter l’accroissement des inégalités dès lors que les politiques économiques mises en œuvre ne changent pas. Dans un tel contexte, le seul facteur susceptible de tasser ce phénomène réside dans les crises boursières qui voient le capital des grandes fortunes stagner ou baisser, sans que cela ne nous autorise à pleurer sur leur sort, dès le moment où ce sont les classes populaires qui paient le prix fort de ce type de crises.

Notes[+]

* Membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

Chronique liée

(Re)penser l'économie

lundi 8 janvier 2018

Connexion