Face à la crise au Nicaragua
Les associations et personnes suisses actives depuis presque quatre décennies dans la solidarité avec le peuple nicaraguayen, suivent avec inquiétude la situation difficile actuelle. Elles déclarent vouloir poursuivre leurs actions de solidarité avec les organisations de base qui s’engagent activement pour l’amélioration des conditions socio-économiques de la population la plus pauvre au Nicaragua.
Les faits de grave violence survenus dans ce pays centre américain depuis le 18 avril – et qui se poursuivent encore aujourd’hui – avec plus de 40 morts reconnus par des sources fiables [bilan réévalué à 87 morts et plus de 860 blessés au 28 mai (AFP)] – préoccupent profondément le mouvement de solidarité suisse avec le Nicaragua. Restés dans un premier temps sidérés devant cette situation, nous sommes aujourd’hui encore sans réelle explication devant l’amplification du cycle infernal de la violence, tant le sandinisme a toujours démontré sa capacité à surmonter les crises.
C’est le projet de réajustement du système de sécurité sociale qui a été l’élément déclencheur et a motivé la mobilisation initiale des retraités et des étudiants, puis d’une partie de la population aux côtés des manifestants. Cette situation nous a conduits à certaines réflexions de base échangées lors d’une réunion nationale de la solidarité suisse tenue lundi 14 mai à Bienne.
Il est inadmissible que, depuis plus d’un mois de crise, le Gouvernement du Nicaragua n’ait pas encore communiqué la liste officielle des personnes décédées lors des faits, ni expliqué le déroulement des événements, ni surtout assumé la part de responsabilité de ses forces de police, ni communiqué ses regrets aux familles des victimes (les morts suite à la répression policière, les victimes des francs-tireurs, les morts des deux côtés suite aux violences durant les émeutes dans plusieurs villes).
Le gouvernement du Nicaragua, en tant qu’administrateur de l’Etat, est en charge du maintien de la sécurité et de l’ordre public dans le pays. Il se doit donc de reconnaître aujourd’hui ses responsabilités dans ces événements douloureux, que ce soit en raison du manque de contrôle sur la police, de ne pas avoir été à la hauteur pour donner une réponse rapide suite aux premiers événements ou encore d’avoir laissé faire les actions de la Jeunesse sandiniste qui a attaqué les premières manifestations spontanées, provoquant une escalade devenue aujourd’hui incontrôlable. Depuis, la situation est exploitée par des groupes organisés qui sèment le chaos dans tout le pays (attaques contre des civils, saccages de commerces, barricades, incendies d’édifices publics, etc.).
En conséquence, il y aura un avant et un après avril 2018 au Nicaragua, malgré la guerre médiatique et les rumeurs innombrables qui circulent sur les réseaux sociaux et entretiennent la confusion et les doutes sur les événements et les responsabilités.
Nous saluons la convocation à un «Dialogue national» entamé le mercredi 16 mai. Nous sommes convaincus que, vu la situation difficile qui perdure dans le pays et durant laquelle la violence n’a pas été maîtrisée, il n’y a pas d’autre voie que la négociation entre tous les acteurs sociaux, politiques, syndicaux et religieux.
Nous saluons également la désignation d’une Commission d’investigation composée de cinq personnalités nationales. Son action pourra être considérée comme positive si elle réussit à investiguer rapidement sur les faits de violence, si elle réussit à faire la lumière sur les responsabilités concernant les morts et les blessés, si elle propose des mesures judiciaires pour sanctionner lesdits responsables et si elle propose des mesures de réparation morales et financières aux victimes ou à leurs familles.
En tant que mouvements de solidarité, nous sommes conscients que dans toute l’Amérique latine, après plus de dix années de gouvernements démocratiques dans plusieurs pays avec des avancées sociales importantes, des forces réactionnaires tentent de récupérer les espaces politiques et de pouvoir. Ces forces réactionnaires ont aujourd’hui soif de revanche et cherchent et chercheront tous les moyens possibles pour détruire les conquêtes et processus sociaux, sans hésiter à user de violence organisée pour semer le chaos dans ces pays.
Nous sommes également conscients qu’un affaiblissement du gouvernement et de l’Etat nicaraguayen, suite à la réduction de l’espace démocratique et aujourd’hui aux violences, n’aura d’autre conséquence que de favoriser cette avancée de la droite, annihilant ainsi les arguments politiques essentiels des forces progressistes pour soutenir le processus de transformation qui met en évidence le Nicaragua depuis 2007. Nous constatons également que les protestataires d’aujourd’hui, et qui se réclament de gauche, ne disent rien au sujet de la tentative de la droite et de l’impérialisme pour imprimer leur logique réactionnaire à la dynamique actuelle.
Nous souhaitons enfin souligner qu’en ces moments difficiles que traverse le Nicaragua, en tant qu’acteurs et promoteurs de la solidarité, (…) nous poursuivrons notre travail avec les mouvements et acteurs progressistes de base, engagés depuis la Révolution sandiniste de 1979 pour construire des changements profonds et des améliorations socio-économiques en faveur des secteurs les plus pauvres de ce peuple héroïque.
* Bienne, Genève, Delémont, Zürich, Lausanne, Lausanne, Berne, Fribourg, Aigle et Bellinzona.