En 1991-1992, lors de l’éclatement de la Yougoslavie, des guerres ont débuté en Europe, alors que cette éventualité semblait dépassée, voire impossible, dans l’imaginaire de la construction européenne. L’Europe se présentait comme un espace «civilisé». Les nombreuses conventions et accords internationaux signés après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, telles la création des Nations unies en 1945, les Conventions de Genève, la Convention européenne des droits humains, la Déclaration universelle des droits humains, la Convention de 1951 relative au statut des réfugié·es, laissaient croire qu’en Europe de l’Ouest, du moins, nous sortions de la barbarie et que les chemins vers une période de paix durable étaient tracés. Chimère pourtant, car les comportements barbares ont continué tout au long du XXe siècle, exportés dans les pays «colonisés» et dans les guerres au Vietnam, au Moyen-Orient, en Algérie et j’en passe. L’avènement de Gorbatchev en URSS et, par la suite, la «chute du mur» suscitaient l’espoir d’une fin de la guerre froide grevant les relations entre les mondes dits «capitalistes et communistes».
La guerre à nos portes nous a alors pris à froid. Comment réagir face à ce cauchemar pour éviter de sombrer dans la dépression? Le Forum civique européen (FCE) que la coopérative Longo Maï avait créé après la chute du mur en 1989 avait, bien avant la guerre, noué de nombreuses amitiés avec des personnes de Yougoslavie, notamment à travers la participation de Longo Maï à plusieurs camps de jeunes dans les années 1980 en Yougoslavie et les rencontres internationales du FCE en Provence.
Le FCE a alors entamé plusieurs initiatives pour soutenir les mouvements civiques pour la paix en ex-Yougoslavie: création d’une «Conférence yougoslave», délégations auprès des représentants des différentes Eglises, création d’un réseau de journalistes entre les différentes républiques (AIM), appel au soutien et à l’accueil des déserteurs de la guerre dans les pays européens. En Suisse, le FCE a invité à une journée de réflexion à Delémont, sous l’auspice de son maire Jacques Stadelmann. Une intervention majeure fut celle de Paul Hermant, représentant de l’association belge «Causes communes» qui venait d’être créée par un grand nombre de communes pour mettre en place des partenariats entre communes belges et ex-yougoslaves. En Belgique, comme dans de nombreux pays européens, de simples citoyen·nes voulaient réagir face aux désastres de la guerre, mais il n’y avait pas de structure appropriée pour intégrer ces bonnes volontés. L’idée était alors que les citoyen·nes mobilisent leur commune, l’instance qui leur était la plus proche, à rassembler leurs volontés.
Cette idée a aussi séduit l’assemblée du FCE et un comité d’initiative pour la création de «Causes communes Suisse» a été mis en place. Celui-ci a invité les communes suisses à des «Etats généraux des communes sur la question de l’ex-Yougoslavie». En décembre 1992, Causes communes Suisse a été officiellement créé par les représentant·es d’une quarantaine de communes suisses. Une délégation, dont faisaient partie Jacques Stadelmann, maire jurassien, et Henri Huber, maire bernois de Köniz, s’est alors rendue dans différentes républiques ex-yougoslaves pour identifier des communes engagées dans la défense des droits humains et contre la guerre.
Par la suite, plus de 150 communes suisses, regroupées dans 19 comités régionaux, dont trois en Suisse romande, ont pu établir des partenariats avec des communes ex-yougoslaves. Des dizaines de délégations «communales», financées souvent par les bénévoles qui y participaient, ont alors mis en pratique leur volonté d’échanger et d’aider la société civile dans les communes partenaires. Les rencontres réciproques entre différentes délégations, tant en ex-Yougoslavie qu’en Suisse, ont montré que, de part et d’autre, la population voulait la paix. A côté d’une aide humanitaire immédiate pour les réfugié·es dans les communes, les partenariats ont mis l’accent essentiellement sur des échanges éducatifs, culturels, sportifs, de santé, etc. Animés par des bénévoles de part et d’autre, ces partenariats ont conduit parfois à des amitiés et à des liens qui ont subsisté jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, de nouveau, la guerre est à nos portes en Ukraine, au Liban, en Palestine… Les accords signés après la Deuxième Guerre mondiale sont bafoués les uns après les autres. Des Etats-nations font des guerres au nom des peuples. Mais, comme en ex-Yougoslavie, la population n’a rien demandé. Le plus souvent, ce sont des intérêts économiques ou politiques de dirigeants ambitieux qui sont à l’origine des conflits. Que pouvons-nous faire alors en tant que citoyen·nes? En appeler au respect des conventions des années d’après-guerre? Ou réfléchir à comment recréer des oasis de paix? Nous ne pouvons pas rester les bras ballants!