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Fonctions régaliennes

(Re)penser l'économie

Historiquement, les fonctions régaliennes couvrent les attributs de base d’un Etat comme la création de la monnaie, la sécurité extérieure avec l’armée, et la sécurité intérieure avec la police et la justice. Ces fonctions sont censées être du ressort exclusif des Etats, et donc financées par eux, afin de ne pas être exercées par des groupes d’individus qui les utiliseraient à leur profit. Cette approche vise à permettre une neutralité de la part de l’Etat concerné et une application sans parti pris de son droit interne ou international. Or ce concept est de plus en plus fréquemment mis à mal, au travers des modes de financement de tout ou partie de ces fonctions, ou encore par la délégation à des entités privées de certaines activités régaliennes. L’exemple le plus manifeste de ce type de dérives s’est concrétisé lors de la guerre d’Irak, lorsque l’armée étasunienne a sous-traité à des entreprises privées de nombreuses tâches. A tel point que le personnel de ces entreprises était supérieur en nombre à celui dépendant directement du Pentagone, et près de 50% étaient Irakiens! Cette délégation a des entreprises privées a permis de minimiser les pertes subies par l’armée étasunienne et d’éviter un retournement de l’opinion public à propos de cette invasion.

Un reportage diffusé récemment sur la chaîne Arte1>«Interpol, une police sous influence?» Arte, 20 mars 2018.dévoile les financements privés de l’agence Interpol, organisation de police internationale. Celle-ci regroupe 192 pays membres, qui sont censés coordonner leurs activités au niveau international et permettre notamment d’échanger des notices sur les personnes recherchées à la suite de délits ou de condamnations. Son budget, relativement modeste, s’élève à environ 70 millions d’euros. Cette limitation financière est en partie liée au fait qu’un certain nombre d’Etats veulent éviter de donner trop de compétences à Interpol, le partage de données posant de réels problèmes de souveraineté. Dès lors, cette organisation a commencé à développer des partenariats public/privé très à la mode en vue de renforcer ses capacités financières.

C’est ainsi que l’émission nous apprend que la FIFA (Fédération internationale de football) a versé 20 millions d’euros sur dix ans à Interpol avec pour objectif que cette institution se préoccupe des matchs truqués! Relevons tout d’abord que la FIFA est mêlée à des scandales de corruption et qu’il est pour le moins curieux qu’un organisme policier international accepte de l’argent de celle-ci. Mais il est évident que la FIFA ne fait pas cela par altruisme. L’essentiel de ses revenus provenant des droits de retransmission des matchs à la télévision, sa démarche vise à empêcher que des téléspectateurs se détournent des retransmissions, avec pour conséquence des pertes de recettes pour la FIFA. Les compromissions d’Interpol ne s’arrêtent pas là, le cigarettier Philip Morris a versé 15 millions d’euros sur trois ans pour qu’Interpol lutte contre les contrefaçons de cigarettes… mais pas n’importe lesquelles. Car il y a la contrebande de cigarettes produites par Philip Morris, qu’il ne faut pas toucher, puisqu’elle permet de vendre des cigarettes très bon marché, avec pour objectif de rendre dépendants les consommateurs.

En revanche, la contrebande ne provenant pas du cigarettier doit être combattue! Or Philip Morris a écopé d’une amende de plus d’un milliard de la part de l’Union européenne pour éviter un procès, en raison des pertes de recettes fiscales liées au trafic de cigarettes. La police se fait donc subventionner par une entreprise qui enfreint la loi! Enfin, le dernier exemple des largesses des entreprises transnationales concerne Sanofi, un des leaders de la production de médicaments. Là les sommes sont plus modestes: un million pour favoriser la traque des contrefaçons de médicaments. Bien entendu, il ne s’agit pas de lutter contre des médicaments dangereux parce que trafiqués, mais de contrer la vente de génériques bon marché produits par des pays comme l’Inde.

Ces quelques exemples montrent à quel point les fonctions régaliennes, censées être l’apanage exclusif des Etats, sont aujourd’hui gangrenées par l’argent de provenance privée. Dans ce domaine comme dans d’autres, les partenariats publics/privés ne découlent pas d’une vision philanthropique mais d’une défense bien comprise des intérêts des donateurs.

* Membre de solidaritéS, ancien député.

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