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«Un référendum financé par des pourvoyeurs de fonds douteux»

Le mode de financement du référendum des Jeunes PLR, UDC et Vert’libéraux, qui s’oppose à la loi sur les jeux d’argent en votation le 10 juin, montre «l’urgence de réguler le financement des campagnes politiques en Suisse», estime le conseiller national genevois Manuel Tornare.
Votation

Les votations populaires sont un des piliers de la démocratie suisse et permettent au peuple d’exprimer directement sa volonté. Tel est aussi le cas pour la votation du 10 juin sur la loi sur les jeux d’argent. Un élément de la nouvelle loi: les casinos suisses pourront proposer des jeux en ligne tandis que les sites étrangers seront bloqués. Raison évoquée à cet interdit: les exploitants étrangers de jeux en ligne ne sont pas imposés en Suisse. Les près de 250 millions de francs que les joueurs suisses leur versent chaque année ne participent ni au financement de l’AVS, ni aux soutiens associatifs.

Soulignons qu’avec cette nouvelle loi, le Parlement met en œuvre l’article 106 de la Constitution, approuvé par 87% de la population en mars 2012. Cet article prescrit que les bénéfices des jeux d’argent doivent aller au bien commun; à l’AVS pour les casinos, au sport, à la culture, au social et aux sociétés locales pour les loteries. La mobilisation des lobbies contre la nouvelle loi, avant et pendant les longs débats aux Chambres, était massive.

Combattre cette loi par un référendum, on peut le comprendre, c’est le jeu démocratique. Mais ce qui choque, ce sont les sommes faramineuses avancées par le comité référendaire sans contrôle, alors que le financement des partis politiques, limité, est en ligne de mire actuellement.
Ce comité référendaire, composé de jeunes libéraux-radicaux, verts-libéraux et UDC, et de parlementaires de divers partis bourgeois, a reçu, pour la récolte de signatures, un soutien financier de 500 000 francs provenant d’entreprises étrangères, de casinos en ligne et de sites de poker comme Poker Stars, Bwin ou Interwetten, basés dans des paradis fiscaux peu regardants en matière de blanchiment d’argent!

J’ai interpellé le Conseil fédéral à ce sujet. Sa réponse est lapidaire: «Il incombe au comité concerné d’accepter ou de refuser des dons», sans préciser que les débats de votation seront l’occasion de thématiser la question de l’engagement d’exploitants étrangers dans la campagne. Faisons-le, maintenant!

Il ne faut pas se voiler la face, sans cet argent, le référendum n’aurait pas été lancé et n’aurait pas abouti. C’est probablement la première fois qu’une votation populaire a lieu en Suisse par la volonté d’entreprises sans lien direct avec la Suisse. Le but de ces sociétés est d’accéder au lucratif marché suisse des jeux d’argent. Et la nouvelle loi menace leurs profits!

Contrairement aux autres démocraties occidentales, la Suisse n’a pas légiféré sur le financement de la politique. L’exemple actuel montre l’urgence de réguler le financement des campagnes politiques en Suisse, comme le demande l’initiative sur la transparence, lancée par le Parti socialiste. Le récent scandale autour de l’utilisation des données Facebook par Cambridge Analytica en vue d’influencer des votations et élections nous rappelle la nécessité de la transparence du financement de la politique et des campagnes de votation en particulier, instrument phare de notre démocratie directe.

Indépendamment de l’issue de la votation le 10 juin, les pourvoyeurs de fonds douteux finançant ce référendum ont déjà remporté une demi-victoire: repousser l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et continuer à engranger des bénéfices bien supérieurs aux 500 000 francs investis dans la campagne! Ne soyez pas dupes.

* Conseiller national PS/GE.

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