Contrechamp

L’enseignement du droit en mouvement

(1/4) Aborder pratiquement les droits humains en empoignant une thématique locale: c’est l’enjeu de la «Law Clinic» que la Faculté de droit de l’Université de Genève propose depuis 2013 aux étudiant-e-s de Master. Les travaux portent chaque année sur un groupe spécifique dont les droits ne sont pas respectés à Genève. Focus actuel sur les personnes LGBT.
L’enseignement du droit en mouvement 1
En confrontant un enseignement théorique interdisciplinaire à l’expérience du terrain, les étudiant-e-s sont amené-e-s à approcher le droit d’un œil critique. Photo: séance d’exercice en classe, Université de Genève, 2017. DR
Law Clinic

«Some people come to law school not just to learn about laws that help people but also with a hope that they might learn to use new tools to transform and restructure the world and its law to make our world a more just place»1>«Certain-e-s n’étudient pas le droit uniquement pour découvrir les lois qui aident l’individu, mais aussi avec l’espoir d’acquérir les outils qui leur permettront de transformer et de restructurer la société et son droit pour en faire un monde plus juste», Quigley, Letter to a law student interested in social justice (2007).. C’est de ce constat qu’est née en 2013 la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de la Faculté de droit de l’Université de Genève, un enseignement qui vise à mettre les étudiant-e-s en droit sur le terrain, encourager une approche critique du droit, replacer les marges au centre et faire bénéficier un large public d’un savoir scientifique vulgarisé et accessible2>Initié par Olivia Le Fort et Djemila Carron, cet enseignement est placé sous la direction académique de la Professeure Maya Hertig Randall. Plus d’info sur: www.unige.ch/droit/lawclinic/ et sur notre page facebook..

A Genève, les droits humains occupent une place importante, particulièrement lors de discussions de haut niveau au Palais des Nations. On oublie souvent que ces questions ont un ancrage local et qu’à Genève également les droits humains ne sont pas toujours pleinement respectés, surtout lorsqu’on appartient à un groupe de personnes en situation de vulnérabilité sociopolitique. La Law Clinic cherche à donner de l’information juridique vulgarisée et accessible à ces personnes par la publication de brochures. Elle cherche également à relever les discriminations structurelles ancrées dans le système juridique. Nos recherches ont par exemple mis en lumière, concernant les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans*)3>Pour un lexique sur les personnes LGBT: www.federationlgbt-geneve.ch/ressources/lexique/, qu’au-delà de l’existence même de deux institutions différentes pour les unions entre personnes de même sexe et de sexe différent, le droit suisse prévoit de nombreuses différences entre le mariage et le partenariat enregistré, légitimant un traitement différencié de ces deux types d’union.

Chaque année, la Law Clinic se penche sur les droits d’un groupe de personnes spécifiques. Différents éléments guident le choix de la thématique. Il doit tout d’abord s’agir d’un groupe de personnes dont les droits ne sont pas respectés à Genève. Il faut ensuite que ces personnes puissent bénéficier d’information juridique sous forme d’une brochure. Enfin, ce besoin d’information juridique doit avoir été exprimé par les personnes concernées ou des associations qui travaillent avec elles. Ce dernier critère est d’une grande importance, car le travail de la Law Clinic veut s’adapter aux besoins du terrain. Jusqu’alors la Law Clinic a traité des droits des personnes «rom» en situation précaire à Genève, des droits femmes sans statut légal à Genève et des droits des personnes en détention provisoire à la prison de Champ-Dollon. Depuis septembre 2016, nous travaillons sur les droits des personnes LGBT (lire ci-dessous).

Entre information juridique et critique du droit

En tant que personne en détention provisoire, à quel type de soins ai-je accès? Que puis-je faire en cas de mauvais traitement? Quels sont mes droits spécifiques en tant que femme détenue? C’est de ce type de questions concrètes que partent les recherches de la Law Clinic. Chaque année, en collaboration avec les personnes concernées et le milieu associatif et institutionnel, nous déterminons les questions juridiques principales qu’un groupe particulier de personnes se pose à Genève. La quinzaine d’étudiant-e-s de Master en droit sélectionné-e-s pour ce cours rédige alors des avis de droit pour y répondre, avant de les reformuler en réponses concises et accessibles pour des non-juristes, présentées dans des brochures. Par exemple, pour les femmes sans statut légal, à la question «Mon contrat de travail est-il valable si mon séjour est illégal?», la brochure répond, «Oui, mon contrat de travail est valable, même si mon séjour est illégal. J’ai donc les mêmes droits qu’une travailleuse en situation régulière». Aussi courtes que soient certaines de ces réponses, elles sont le résultat de mois de recherches et de contacts réguliers avec des personnes du terrain. Nos brochures sont ensuite mises gratuitement à disposition au sein des associations et institutions partenaires.

La Law Clinic est également un concept pédagogique. Elle offre une première expérience professionnelle encadrée aux étudiant-e-s, qui, pour certain-e-s, se confrontent pour la première fois à des situations de vulnérabilité. Rencontrer les personnes concernées, appeler les autorités, discuter avec des avocat-e-s, récolter des informations, tester les réponses juridiques obtenues à la pratique et à l’expérience du terrain. Telles sont les activités de nos étudiant-e-s, qui les obligent à sortir de leur zone de confort. En parallèle, l’enseignement théorique interdisciplinaire les amène à approcher le droit d’un œil critique. Dans la Law Clinic, on ne se demande pas seulement quels sont les droits de certaines personnes, on questionne également les relations de pouvoir qui sous-tendent les règles de droit et leur application. Cette perspective critique est également tournée vers l’enseignement lui-même. Comment être sûres que nos réponses atteignent leur but? Comment éviter que les personnes qui utilisent la brochure ne subissent des conséquences que nous n’avions pas anticipées? Ce type de réflexions nourrissent le quotidien de cet enseignement et lui permettent de sans cesse se repositionner.

Au-delà de la publication de brochures, la Law Clinic s’investit également dans d’autres projets. Cette dernière année, des étudiant-e-s ont participé à l’élaboration d’un projet de loi cantonale sur les violences et discriminations en raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’expression de genre, en partenariat avec le BPEV (Bureau de la promotion de l’égalité entre femmes et hommes et de prévention des violences domestiques). La Law Clinic n’a pas non plus oublié de s’intéresser à l’institution qui l’accueille: un étudiant a réalisé un mémoire répertoriant la manière dont l’Unige pourrait encore améliorer la situation des personnes LGBT en son sein.

Au-delà des personnes LGBT, la Law Clinic continue de s’intéresser à d’autres sujets. L’année académique 2018-2019 sera dédiée aux jeunes migrant-e-s non-accompagné-e-s. Les inscriptions sont désormais ouvertes!

Les droits des personnes LGBT

Les personnes LGBT rencontrent des difficultés juridiques dans de nombreux domaines, de la protection de la sphère privée à la parentalité, en passant par le droit du travail, des migrations et bien d’autres. La brochure sur ce thème, qui paraîtra en automne 2018, couvre environ 150 questions juridiques. Ai-je le droit de ne pas répondre ou de mentir si on me questionne sur mon orientation sexuelle ou mon identité de genre lors d’un entretien d’embauche? En tant que personne trans*, ai-je le droit de me faire rembourser par l’assurance-maladie obligatoire les opérations, traitements et soins liés à ma transition? Puis-je obtenir l’asile en Suisse sur la base de persécutions liées à mon orientation sexuelle ou à mon identité de genre? En tant que mineur-e LGBT, que puis-je faire si je suis victime d’humiliations dans ma famille? La police a-t-elle l’obligation de me protéger lors d’une pride? En tant que couple de même sexe, à quelles conditions pouvons-nous adopter? Les articles qui suivront sur cette page lors des trois prochains lundis répondront à une partie de ces questions. Ils mettront également en exergue les incertitudes juridiques au cœur desquelles naviguent les personnes LGBT.

L’enseignement du droit en mouvement
Les trois brochures déjà éditées dans le cadre de la Law Clinic. DR

Après deux années passées sur cette thématique, les travaux de la Law Clinic rappellent que les personnes LGBT subissent encore de nombreuses discriminations en Suisse. Certaines inégalités sont ancrées dans la loi, comme le non-accès au mariage ou à l’adoption conjointe pour les couples de même sexe. D’autres découlent de l’interprétation des normes. Par exemple, si le droit d’asile permet de demander une protection en Suisse sur la base de persécutions liées à son orientation sexuelle ou identité de genre, il reste dans la pratique souvent très difficile d’apporter les preuves exigées par les autorités.

Par ailleurs, le droit continue d’ignorer certaines réalités. Les personnes trans* sont ainsi souvent confrontées à une absence de normes ou à des règles inadaptées à leur situation, ce qui les place face à des obstacles juridiques et administratifs quotidiens. Une partie de ces problèmes découle de la binarité femmes-hommes encore fortement ancrée dans le droit. Notre système juridique s’évertue en effet à catégoriser la société en deux catégories étanches femmes/hommes, et en tire des droits et obligations qui diffèrent, alors que la réalité est souvent plus complexe. De plus, le droit peine encore à sortir d’un modèle hétéronormé, même quand il tente de s’adapter à d’autres configurations. Par exemple, le nouveau droit de l’adoption, qui permet depuis le 1er janvier 2018 au membre d’un couple de même sexe d’adopter l’enfant de son-sa partenaire ou compagnon-agne, est transposé d’un modèle familial hétérosexuel. Il paraitrait inadmissible qu’un homme soit soumis à une évaluation de ses aptitudes à élever un enfant avant de pouvoir le reconnaître. C’est pourtant ce que le droit impose aux familles arc-en-ciel.

Ainsi, si un couple de femmes souhaite créer une famille en droit, elles vont obligatoirement devoir passer par une procédure d’adoption qui implique une évaluation de leur couple et de leurs compétences parentales, notamment par le biais d’entretiens, auditions et soumission de nombreux documents. Alors même que le droit suisse a récemment ouvert des possibilités de parentalité commune aux couples de même sexe, il ne s’est pas adapté à la réalité qu’il souhaitait pourtant couvrir. DC/CV/NZ

Notes[+]

* Coresponsables de la Law Clinic.

Le 2e volet de la série, à paraître lundi 16 avril, sera consacré aux couples et aux familles arc-en-ciel.

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