Édito

Sissi imperator

Sissi imperator
Le président égyptien n’a voulu prendre aucun risque et a embastillé l’ensemble de ses opposants dans les semaines qui ont précédé le scrutin. EPA EGYPTIAN PRESIDENCY/HANDOUT
Egypte

La liesse de 2013 a disparu en Egypte. Le soutien populaire dont a bénéficié le général Abdel Fattah Al-Sissi au moment de renverser le gouvernement démocratiquement élu des Frères musulmans a vécu. Car depuis cinq ans, le régime militaire a déçu toutes les attentes des manifestants sortis par centaines de milliers en 2011 et 2013, au péril de leurs vies, réclamer «pain, liberté, justice sociale!». L’autoproclamé maréchal Al-Sissi sera pourtant «réélu» haut la main aujourd’hui à la présidence, dès le premier tour.

L’homme fort n’a voulu prendre aucun risque et a embastillé l’ensemble de ses opposants dans les semaines qui ont précédé le scrutin. Nul besoin de préserver les apparences: son gouvernement bénéficie du soutien indéfectible de nombreux Etats dont, au premier chef, la France, au nom de la supposée «guerre contre le terrorisme». La «patrie des droits de l’homme», qui a vendu pour 6 milliards d’armes à l’Egypte ces dernières années, contrevenant aux injonctions de l’Union européenne, estime, par la voix même de son président Emmanuel Macron, n’avoir «aucune leçon à donner» au général Al-Sissi1>1 Une partie des blindés vendus ont servi à la répression meurtrière de 2013..

Reçu en grande pompe à Paris en octobre dernier, ce dernier a pu y faire son marché. En 2016, les entreprises Vinci et Bouygues ont obtenu le contrat de l’extension du métro du Caire pour 1,1 milliard d’euros. D’autres affaires sont en vue: douze nouveaux avions de chasse français Rafale sont aussi dans le panier du maréchal.

Pourtant, Amnesty international et d’autres ONG estiment que l’Egypte traverse «la pire crise des droits humains depuis des décennies». Les prisonniers politiques se comptent en dizaines de milliers (!), la torture dans les prisons est monnaie courante, et la disparition forcée est redevenue une arme pour terroriser le peuple. De nombreux journalistes sont aussi enfermés sous les prétextes les plus farfelus. La place Tahrir, envahie de dizaines de milliers d’opposants au début des années 2010, est tristement vide.

Côté droits économiques et sociaux, même tableau: sous la coupe du FMI, le régime néolibéral a présidé au renchérissement du coût de la vie et a restreint les aides et les subventions héritées de l’époque nassérienne, tout en concentrant encore un peu plus l’industrie dans les mains des militaires.

Mais cette chape de plomb ne peut durer. L’armée a montré des signes de division. Et la révolution de 2011 a, malgré les apparences, transformé en profondeur les Egyptiens. Si la population est venue à bout de Moubarak, s’inclinera-t-elle indéfiniment devant Al-Sissi?

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Opinions International Édito Christophe Koessler Egypte

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