Papy Witz au Salon
Appelons-le Papy Witz pour l’anonymat. Il a écrit à l’administrateur de son immeuble, au centre très urbanisé du canton, une lettre étonnante. Il demande qu’on élargisse les portes de sortie du parking souterrain «parce que les constructeurs automobiles n’arrêtent pas de produire des voitures de plus en plus larges et qu’on risque d’abîmer ses jantes en sortant»! Et de citer à l’appui les largeurs des Porsche Cayenne, Mercedes truc et Audi machin, rien que de très grosses berlines… Et de faire remarquer aussi que, de l’intérieur à l’extérieur, la rampe se rétrécit de douze centimètres, ce qui risquerait de provoquer un engorgement dramatique en cas d’évacuation précipitée du parking! On est évidemment confondu par le drame vécu par ce pauvre homme. Un peu étonné, aussi, que passer avec dix centimètres de marge de chaque côté lui pose problème alors qu’il a réussi la visite médicale pour le maintien de son permis de conduire… A moins, peut-être, qu’il soit moins vieux pour l’état civil que dans sa tête et que ce ne soit qu’un jeune crétin!
Deux choses me fascinent en tout cas. La première, c’est sa soumission au dictat de constructeurs étrangers qui produisent des voitures de plus en plus larges, de plus en plus polluantes et de plus en plus malcommodes en centre ville. Au cas où Papy ne l’aurait pas remarqué, la plupart des voitures de son parking sont moins larges et bien moins nuisibles que la sienne ou celles qu’il prend pour références. Il y a même de petites voitures hybrides et quelques voitures électriques. Sans parler de nombreux cyclistes à qui les deux mètres douze de large de la sortie ne posent pas problème! Mais Papy, c’est le deuxième objet de ma fascination, se terrifie lui-même à l’idée qu’il pourrait bugner une jante ou rayer un enjoliveur. L’autre jour, devant un grand hôtel sur les quais, il y avait, en annexe sans doute du Salon de l’auto, un rassemblement de coupés de grand luxe de toutes les couleurs et de toutes les marques, briqués, lustrés, luisants comme dans une vitrine de concessionnaire. Leurs chauffeurs veillaient jalousement sur eux. Au milieu de manœuvres de stationnement, j’entends l’un d’eux lancer: «J’ai tellement peur pour ma carrosserie!» Manifestement, Papy doit, lui aussi, craindre plus pour sa carrosserie que pour sa propre peau, qu’un conducteur comme lui doit pourtant risquer au quotidien.
Bien sûr, Papy ne réalise pas que de plus en plus de villes au monde envisagent la limitation, quand ce n’est pas l’interdiction, partielle ou totale, des moteurs thermiques. En particulier de ceux des modèles qui le font rêver et qui, joints aux poids lourds et aux deux-roues sur-motorisés rendent l’air des grandes villes de plus en plus irrespirable et toxique. Mortel même pour une part croissante des plus faibles, des plus jeunes et des plus vieux. Bercé par les publicités imbéciles qui encombrent tous les médias et la propagande débile du TCS, Papy se rêve au volant d’un bolide luisant dans des paysages idylliques. Pas paniquant pour ses jantes en sortant d’un parking souterrain! Et puis, il est sans doute allé au Salon de l’auto, pour rêver devant ces bolides surpuissants, hors de prix, qui promettent trois fois les vitesses maximales autorisées sur les routes… Sans réaliser ce que c’est que rester coincé une demi-heure dans un embouteillage au volant d’une voiture de circuit.
L’aliénation automobile de ce pays est d’autant plus ridicule qu’il compense l’absence de très grandes villes par un excès faramineux de motorisation. L’idéologie de la croissance des profits, fût-ce aux dépens du bien-être de tous, est reine et rien ne protège nos concitoyens d’une propagande pour la surconsommation aux effets mortifères.
Le Salon de l’auto a, paraît-il, réduit sensiblement les prestations des filles souriantes et parfois peu habillées qui ornaient les carrosseries. Pour la santé physique et mentale de tous, j’aurais préféré qu’il conserve les filles et réduise les bagnoles!
*Chroniqueur énervant.