La peur des dentistes
Brosse-toi les dents trois fois par jour et tu ne connaîtras pas les caries. Voilà, en substance, ce qu’affirment les dentistes. Pour eux, une assurance pour le remboursement des soins dentaires, sur laquelle les Vaudois votent ce dimanche, n’est pas nécessaire. Un peu comme si les cardiologues contestaient la LaMal pour les soins cardiovasculaires en nous envoyant pratiquer trente minutes de marche quotidienne.
Ce que les dentistes ne disent pas, c’est qu’ils ont peur. Ils ne veulent pas faire tomber le dernier bastion non réglementé de la santé. En cas de oui dans les urnes, ils perdront leur liberté de facturer. Aujourd’hui, ils ne rendent de compte à personne, si ce n’est à leurs patients, lesquels disposent de peu de moyen pour contester les prix imposés.
Quel citoyen demande plusieurs devis au risque de grever un peu plus son porte-monnaie? Des enquêteurs de la Fédération suisse des consommateurs l’ont fait en 2015: entre radiographies superflues, surdiagnostic impliquant des traitements lourds et un «point» (unité tarifaire) facturé entre 2,95 et 4,10 francs selon les cabinets, les disparités révèlent un marché hors de contrôle.
L’introduction d’une assurance, évaluée à 300 millions de francs annuels par les initiants, pèsera certes sur le porte-monnaie des travailleurs. Mais cet investissement de 0,5% sur le salaire (et une part égale pour les employeurs) permettra d’éviter les dérapages et de socialiser les risques tout en réduisant la facture globale. Les problèmes dentaires ayant un impact sur la santé en général, tout le système gagnera à voir les bouches bien traitées.
En invoquant la responsabilité individuelle devant la brosse à dent, la profession occulte complètement l’inégalité face aux soins. Elle méprise ceux qui avalent des antidouleurs à défaut de pouvoir digérer la facture de trop ou se voient contraints de traverser la frontière pour se faire soigner à moindre coût.
Figée dans sa stratosphère, la corporation semble imperméable à la réalité des citoyens. Sa ligne de défense fait écho à celle des médecins, qui justifient bec et ongles leur salaires, même lorsque certains gagnent en un mois ce qu’un travailleur de la classe moyenne acquiert en une année.
Pourtant, il ne serait pas impossible de concilier des conditions de travail dignes pour la profession et l’intérêt du plus grand nombre. Il suffit de voir ce qui se passe au Québec, où des médecins ont lancé une pétition pour s’opposer à la hausse de leurs propres salaires, au nom d’un système public fort.