«Au foyer, dans la rue, j’ai peur»
Je m’appelle Kidest Tegrey, j’ai 29 ans, je viens d’Erythrée. Avec mon mari, nous avons fui notre pays à cause de la dictature qui y règne depuis des années. Après un long voyage, nous sommes arrivés en Grèce. On ne recevait aucune aide, nous nous sommes débrouillés par nous-mêmes. Je travaillais comme femme de ménage et on vivait dans des conditions très misérables. Quand je suis tombée enceinte, j’ai perdu mon travail. On était à la rue. Nous avons décidé de quitter la Grèce pour venir en Suisse. Durant le voyage, j’ai perdu contact avec mon mari; nous nous sommes perdus. Jusqu’à présent, je ne sais pas où il est, ni s’il va bien.
Je suis arrivée en Suisse à l’été 2016. Mon fils Amanil est né ici en Suisse. Il a presque deux ans maintenant. Le 18 novembre 2016, j’ai reçu une décision négative à ma demande d’asile. Dans cette lettre, il était écrit que je devais retourner en Grèce. Le 22 novembre 2017, j’ai été assignée à résidence avec mon fils. Depuis cette date, nous sommes obligés de dormir toutes les nuits au foyer de l’Evam (Etablissement vaudois d’accueil des migrant-e-s), de 22 h le soir à 7 h du matin. C’est comme être dans une prison, dans une cage.
Le mercredi matin 16 janvier 2018, j’étais en train de dormir. A 6 h 30, ils ont frappé à la porte. J’ai ouvert, mon enfant s’est mis à pleurer et je l’ai pris dans mes bras. Il y avait une dizaine des personnes; des policiers, des policiers en civil, un monsieur du SPOP (Service de la population vaudois) qui est responsable de mon dossier et l’interprète. Ils m’ont dit que je devais partir, rentrer en Grèce. Mon fils pleurait tout le temps, il était bouleversé par tout ce monde dans la chambre. J’étais toute seule avec mon fils, contre toutes ces personnes. J’ai dit non. Je ne peux pas rentrer. En Grèce il n’y a rien, les personnes sont à la rue, les réfugiés vivent dans la misère, l’Etat grec ne les aide pas. Il n’y a pas d’accès à la santé, ni à l’école, rien du tout. C’est la jungle.
Pourquoi sont-ils venus à dix seulement pour moi et pour mon fils? Ce n’est pas juste. Je n’ai rien fait de mal. Je ne suis pas une voleuse ni une criminelle. Pourquoi tout ça? On était seuls face à eux.
Après une vingtaine de minutes, ces personnes sont parties. Ils m’ont dit que la prochaine fois, ils vont venir, ils vont me fermer la bouche, me menotter et utiliser la force pour nous renvoyer.
Comment peuvent-ils faire ça à une femme et à un bébé de deux ans? Quand vont-ils venir? Demain, après-demain, dans une semaine, dans un mois?
Depuis que j’ai reçu la décision négative, je n’arrive pas à dormir, je suis stressée, je regarde tout le temps dehors par la fenêtre, je suis dans un état de vigilance permanente. J’ai tout le temps peur, quand je dois aller au SPOP pour renouveler mon attestation d’aide urgence, j’ai peur; quand je suis à la maison, au foyer, j’ai peur; quand je marche dans la rue, j’ai peur. J’ai peur, trop peur qu’il puisse arriver quelque chose à mon enfant…
Je pense à mon fils, je veux lui donner un bon avenir, qu’il puisse aller à l’école, étudier, grandir en paix. Je veux rester ici en Suisse. Je suis en train d’apprendre le français, j’essaie de m’intégrer, de faire tout bien… Mais ça ne va pas.
Je ne sais plus quoi faire.
Propos recueillis par le COLLECTIF APPEL D’ELLES
Appel d’elles en campagne
Le 8 mars prochain, le collectif Appel d’elles ira remettre au Conseil fédéral une requête pour la protection des femmes et des enfants qui demandent l’asile en Suisse. Jusqu’à cette date, vous pouvez signer l’appel sur le site www.appeldelles.ch
Le système actuel fait que les violences subies par les femmes ne sont pas prises en compte par les mécanismes de l’asile. Leurs droits élémentaires sont bafoués parce qu’on refuse de les entendre. Pour faire connaitre les situations de ces femmes, quelques-uns de leurs témoignages seront publiés en page Regards jusqu’au 8 mars. Nous vous invitons à les relayer à travers l’action «carte postale» en ligne sur le site du collectif.
Collectif Appel d’elles, www.appeldelles.ch
avec le soutien du Courrier.