Diabolisation de la cause palestinienne
Dans une belle (quasi) unanimité, les nations du monde entier ont condamné la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël. Trop périlleuse, trop unilatérale, et surtout imposée au rouleau compresseur par le nouveau repoussoir de la politique internationale, le peu subtil Trump, duquel il est toujours pratique de se distancier, surtout quand on dirige une démocratie occidentale et qu’on veut passer pour un leader éclairé et tempéré.
Mis à part cet effet cosmétique, la distance est-elle si grande entre l’ultrasionisme affiché du redneck Trump et l’attitude du reste de la «communauté internationale» vis-à-vis de la problématique israélo-palestinienne? Adoptant une attitude oscillant entre indulgence et complicité assumée avec l’Etat d’Israël, les pays du bloc occidental ont tous une grande part de responsabilité dans le pourrissement de la situation. Alors que la condition des Palestinien-ne-s n’a jamais été aussi mauvaise et dénuée d’espoir et que le projet impérialiste sioniste ne prend même plus la peine d’avancer masqué (exit les pseudo-processus de paix et discours convenus entre deux massacres; mais construction de nouvelles colonies et tortures de prisonniers de tout âge), il est de plus en plus difficile en Occident d’affirmer son soutien au peuple palestinien. La machine de propagande du gouvernement israélien peut compter sur des appuis fidèles au sein des gouvernements et des médias occidentaux.
Si les Etats-Unis demeurent l’allié indéfectible, l’Europe n’est pas en reste, à commencer par la France, dont la position officielle pseudo équilibrée de façade a évolué ces dernières années vers un soutien inconditionnel à la cause sioniste, doublé d’une manifestation d’hostilité cynique et anti-démocratique envers tous ceux qui ne partage pas cette vision politique. Le bon vieux chantage à l’antisémitisme – parade infâme visant à diaboliser les milliers de sympathisant-e-s de la cause palestinienne, dont il faut rappeler qu’elle est une cause anticolonialiste et viscéralement antiraciste – fonctionne à plein régime sous le gouvernement Macron. Le président en personne a franchi un double cap dans cette stratégie de légitimation de la politique israélienne et de diabolisation de ses opposant-e-s lors de la commémoration des rafles du Vel d’Hiv en juin 2017.
Dans l’Histoire, la rafle du Vel d’Hiv se caractérise comme une des manifestations les plus brutales et inhumaines de l’antisémitisme en France, pays qui, de l’affaire Dreyfus au régime de Vichy, possède une histoire bien fournie en la matière. Macron profita de la célébration des 75 ans de cet épisode atroce pour inviter à ses côtés le peu recommandable Netanyahou, comme si ce dernier représentait l’ensemble des Juifs (ce qui fut immédiatement dénoncé par nombre d’organisations juives françaises) et enfonça le clou en affirmant lors de son discours (ce qu’aucun président français avant lui n’avait osé faire): «L’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme.»
Difficile après ça, pour un-e sympathisant-e de la cause palestinienne, de faire entendre sa voix et de manifester sereinement son opposition à la politique colonialiste de l’Etat israélien sans passer, aux yeux des gens non informés, pour un suppôt d’Hitler! Mais le penchant prosioniste des dirigeants français ne date pas d’hier. La lecture de l’excellent ouvrage Une ligne dans le sable1>1 Barr J., Une ligne dans le sable. Le conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, éd. Perrin, Paris,
janvier 2017, 509 p.de l’historien anglais James Barr nous apprend que nombre d’attentats perpétrés par les mouvements terroristes sionistes Stern ou Irgoun dans la Palestine mandataire ont été rendus possibles grâce au soutien logistique des autorités françaises de l’époque, sur fond de rivalité franco-anglaise. Plus récemment, il convient de rappeler la performance étonnante du duo «socialiste» Valls-Hollande qui légitima sans sourciller les massacres de Tsahal dans la bande de Gaza en 2014.
Hollande avait déjà démontré que, sur ce sujet, il osait tout: lors des funérailles de l’ancien résistant Stéphane Hessel, en guise d’hommage présidentiel, il tint ces propos: «Il pouvait aussi susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité.» Stéphane Hessel avait eu le malheur de dénoncer l’oppression quotidienne subie par les Palestinien-ne-s, dans son fameux livre Indignez-vous 2>2 Hessel S., Indignez-vous!, Indigène éditions, coll. «Ceux qui marchent contre le vent», Montpellier, 2010, 32 p.. Cela méritait bien une correction en direct au dessus de son cadavre. La grande classe.
Quant à la presse française, elle suit les traces de ses politiciens. L’hebdomadaire Le Point gratifie régulièrement ses lecteurs des chroniques de l’indécrottable BHL, qui nous apprend, entre deux envolées lyriques sur la haute moralité de Tsahal, que le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) est composé de «salopards». BDS est devenu la bête noire des soutiens du gouvernement israélien. Pourquoi? Parce que le boycott culturel et économique de l’Afrique du Sud contribua pour beaucoup à la fin du régime d’apartheid. Bien que modeste, parfaitement pacifiste et issu de la société civile, BDS doit à son tour être démonisé; L’Obs (dont la dérive idéologique a été minutieusement disséquée par son ancienne directrice adjointe Aude Lancelin dans son ouvrage Le Monde Libre3>3 Lancelin A., Le monde libre, éd. Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016, 240 p.) publie un article à charge4>4 H. Gosset-Bernheim, «Les inspirateurs du boycott d’Israël cherchent-il à faire disparaître l’Etat juif?», L’Obs, 28 janvier 2018, bit.ly/2GtxosPdans son édition du 25 janvier 2018, soupçonnant le mouvement d’œuvrer à la destruction d’Israël. Bigre, le BDS, combien de missiles?
Ces efforts aboutissent: en France, des militants BDS se voient condamnés par les tribunaux pour «incitation à la haine». Un comble! En Suisse, l’appel des artistes solidaires avec la Palestine, lors des massacres de Gaza en 2014, avait réuni plus de 600 signatures. Cela n’avait pas empêché le Conseil fédéral d’acheter des drones israéliens (pour 250 millions de francs); mais le droit des artistes à l’expression démocratique n’avait au moins pas été censuré ou démonisé comme en France. Pour combien de temps encore?
Notes
Dominique Ziegler est auteur metteur en scène. Prochain spectacle: La Route du Levant, Théâtre de l’Ancre, à Charleroi (B), dès le 26 février, www.ancre.be