Des vertus libératrices de #MeToo
L’ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein a été accusé d’agressions sexuelles, de harcèlement et de viols par près d’une centaine (!) de femmes depuis octobre. La parution des témoignages d’une partie d’entre elles dans les médias américains a déclenché un mouvement de libération de la parole. D’autres hommes influents ont à leur tour été dénoncés. En Suisse, le politicien valaisan Yannick Buttet a été suspendu de la vice-présidence du Parti démocrate-chrétien et contraint à démissionner dans la foulée des accusations et témoignages concordants de harcèlement établis par plusieurs femmes. Des millions de personnes se sont ralliées derrière le hashtag #MeToo ou d’autres campagnes, révélant l’ampleur du harcèlement sexuel et d’autres formes de violence dont les femmes sont victimes au quotidien partout dans le monde.
Puis, on a débattu. Les hashtags, en particulier #BalanceTonPorc, dont plusieurs commentateurs et commentatrices ont souligné la crudité, oubliant candidement que le slogan répondait au caractère sordide des viols et des actes de harcèlement, présentaient-ils réellement des vertus pour les femmes concernées? Que pouvaient-elles donc tirer de pareils déversements de haine ou d’aussi viles dénonciations? Sur les ondes de La Première, le journaliste Alain Rebetez, en habile observateur de nos vaudevilles politiques, s’adressait aux politiciennes en leur proposant de (sic) gifler les hommes qui les importunaient. Peu importe si ces hommes auraient ensuite beau jeu de traiter d’hystériques celles qui seraient passées à l’acte. Emmenées par l’actrice française Catherine Deneuve, une centaine de personnalités françaises ont quant à elles maladroitement appelé à ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Un homme qui fait la cour ou un «lourdaud» n’est pas un prédateur ou un harceleur, ont-elles expliqué au public et aux femmes francophones, mettant l’accent sur la nécessité de disculper les premiers pour se prémunir d’un regain irrémédiable de puritanisme.
Heureusement, le débat a aussi connu de belles avancées. Des hommes se sont scrutés, courageusement. Certains d’entre eux, comme le journaliste et chroniqueur Nicolas Ulmi, ont souligné que, contrairement à une croyance largement répandue parmi eux et alimentée par notre culture, notamment le cinéma, lorsqu’une femme dit non, c’est non. Ce n’est pas qu’elle dit non parce qu’elle n’oserait pas dire oui. Ce n’est pas qu’elle est timorée, mais consentante, et ce n’est pas qu’il faudrait l’amener ou la forcer (!) à certaines pratiques au nom de son épanouissement sexuel et personnel. Malgré ce préjugé tenace – je me rappelle ce camarade qui, sur les bancs du lycée, me murmurait que les femmes rêvaient toutes de se faire violer –, les femmes sont maîtresses de leur désir et de leur corps, ont écrit avec justesse et finesse certains hommes.
De leur côté, à l’exemple de l’ancienne conseillère nationale Anne-Catherine Menétrey-Savary dans une tribune parue dans Le Courrier, des femmes se sont mises à nu avec élégance et pudeur, décrivant les actes déplacés ou les violences subies. Chemin faisant, elles ont rappelé à toutes celles qui ne pouvaient pas parler publiquement, par pudeur, par peur pour leur fonction ou des représailles d’un homme, ou encore pour protéger certains êtres chers, que non, il ne fallait pas réduire les femmes qui subissaient le viol, le harcèlement et la violence au statut de victimes, mais considérer de la sorte les hommes qui en étaient les auteurs. Victimes de leur misère morale et sexuelle. Maniant avec esprit les hashtags apparus dans le sillage de l’affaire Weinstein sans pour autant les renier, ces femmes ont souligné leurs vertus conquérantes et libératrices.
Nadia Boehlen est porte-parole d’Amnesty International Suisse.