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«Le racket Billag cannibalisera presse et culture»

Estimant qu’il faut «assurer l’autonomie des créateurs d’œuvres de l’esprit sans filtres paraétatiques», Christophe Germann prend position en faveur de la suppression de la redevance radio-TV.
Agora

«Billag». Ce mot «novlangue», c’est le symbole par excellence du fiasco des privatisations prédatrices du domaine public en Suisse. «To bill» signifie «facturer» et «AG» est l’abréviation d’«Aktiengesellschaft», le terme allemand de «société anonyme». Billag, c’est une taxe privée, un joli mot trompeur pour «racket», une extorsion d’argent. Cet euphémisme du meilleur cru inventé par la ploutocratie assistée résume et symbolise parfaitement le pervers bradage du service public, des Chemins de fer fédéraux en passant par la Rüstungsaktiengesellschaft (Ruag), la Poste et Swisscom pour aboutir à la Télévision suisse (SSR), qui ont inspiré la fondation de droit privé Cinéforom1>Lire «‘Atteinte aux mœurs’ en cinéma subventionné?», Le Courrier du 6 mars 2017 et autres constructions coucou quasi offshores dans le nid helvétique.

Depuis leur pseudo-libéralisation, ces grandes sociétés multicantonales et faussement anonymes sont financées bon an mal an à hauteur de milliards de francs suisses par des aides publiques de la Confédération. Par-là, les salaires de leurs dirigeants n’ont cessé d’atteindre de nouveaux sommets vertigineux sans la moindre proportion ou commune mesure avec la responsabilité entrepreneuriale, qui est restée limitée à une peau de chagrin. C’est non seulement l’Etat-Actionnaire, mais c’est aussi et surtout l’Etat-Providence qui assure – par l’argent du contribuable – la survie économique de ces «services publics privatisés».

La libéralisation des services publics en Suisse, c’est devenu le business lucratif de quelques oligarques locaux et de leurs courtisans dociles. Cet affairisme assisté aboutit aujourd’hui à nous contraindre à payer une treizième prime d’assurance-maladie surfacturée à Billag au pays des laisses dorées. Pour financer une télévision que personne ne regarde plus faute de qualité, de sens critique, d’indépendance, de créativité, d’originalité, d’audace, de joie de vivre. Pour nous obliger à nous désabonner des journaux d’excellence tels que Le Courrier, La Repubblica, Le Monde, Der Spiegel, The Guardian, etc.

Dans ce sens, Billag revient à vouloir réduire les bons médias à faire la manche auprès des citoyens auxquels cette taxe privée aura préalablement vidé la poche – jolie forme de solidarité. La plupart de ménages n’ont pas l’argent et l’argent du beurre pour subir le racket Billag – 365 francs par année – tout en continuant à cotiser volontairement à des médias tels que le journal que vous lisez en ce moment-même.

Billag, c’est censurer les médias et la culture qui nous offrent des contenus que nous voulons regarder, écouter et lire. La terre restera ronde tout comme Billag cannibalisera presse et culture…

Il faut aujourd’hui réinventer le service public en Suisse de fond en comble. Donner directement – sans passer par des intermédiaires parasitaires – aux journalistes et créateurs médiatiques et culturels ce qui leur revient: la liberté d’expression et des salaires dignes, en somme l’indépendance par rapport aux apparatchiks qui s’auto-arrosent. Assurer l’autonomie des créateurs d’œuvres de l’esprit sans filtres paraétatiques, sans œillères et autres muselières du genre Billag.

Il ne s’agit pas de supprimer le service public de l’information, de la culture et du divertissement – ce qui serait aussi suicidaire que d’abolir toute défense nationale – mais bien d’un bon coup de balai pour que la diversité culturelle et la pluralité des opinions et expressions puissent ­véritablement s’épanouir.

Notes[+]

* Avocat à Genève et producteur de Le Film Capitalisme (3 000 000 de vues sur Youtube).

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