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Poutine sans adversaires

La mise à l’écart d’Alexeï Navalny par les autorités électorales russes n’est pas une surprise. Elle n’en est pas moins une mauvaise nouvelle pour les Russes qui voient encore se rétrécir leur panorama politique, à moins de trois mois de l’élection suprême.
Russie

Boris Nemtsov mystérieusement assassiné, Garry Kasparov exilé, Sergueï Ouldatsov affaibli par des années d’emprisonnement et désormais Alexeï Navalny écarté au prétexte de son casier judiciaire: une bien étrange coïncidence s’emploie à éliminer tout obstacle sur le chemin d’une réélection promise à Vladimir Poutine.

Non pas que chacun, séparément, eût été en mesure de déboulonner le très populaire maître du Kremlin. Le message se veut préventif: le pouvoir russe ne sera jamais en panne d’imagination lorsqu’il s’agira de dissuader de nouvelles vocations contestataires.

Alexeï Navalny, créature hybride entre l’avocat d’affaires passé par Yale et le militant xénophobe, doit son malheur – et sa condamnation de 2013 dans une affaire d’escroquerie – à sa reconversion très réussie dès 2009 en bloggeur anti-corruption. «Il est impossible d’ignorer (…) que les premières investigations sur l’affaire Kirovles avaient été ouvertes trois semaines après la publication de l’article sur le scandale financier du projet d’oléoduc Sibérie orientale-océan Pacifique», écrivaient en février 2016 les juges de la Cour européenne des droits humains (CEDH), dans un arrêt cassant sévèrement la condamnation «inéquitable» de M. Navalny. Un an plus tard, Strasbourg tranchera une nouvelle fois en sa faveur, l’estimant injustement harcelé par les autorités russes, qui interdisent systématiquement ses rassemblements politiques et les répriment fermement. Pas de quoi faire reculer la justice russe qui confirmera son jugement en février dernier.

Nanti de son brevet d’opposant bâillonné, Alexeï Navalny a lancé lundi un appel au boycott des élections de mars 2018. Histoire d’exister un peu politiquement, mais on imagine mal qu’il parvienne ainsi à entacher une facile et – dans une certaine mesure – légitime réélection de M. Poutine. Sorti sans dommages de la chute des prix des matières premières et des sanctions occidentales qu’on lui annonçait fatales, le président russe semble invulnérable face aux soubresauts de la conjoncture, pour des Russes voyant en lui la stabilité et la puissance publique nationale retrouvée.

Dans une Russie autoritaire, inégalitaire et déjà livrée au marché, tant les candidatures trop identifiables aux intérêts du capital étranger que les nostalgiques du parti unique paraissent condamnés d’office. Malheureusement, le mouvement qui sera capable d’opérer la jonction entre la question sociale et la revendication démocratique semble encore loin d’émerger. Et l’on peut compter sur M. Poutine, parti pour décrocher un cinquième mandat, pour le tuer dans l’œuf.

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