Chroniques

Responsabilités

Mauvais genre

Theresa May a le sens des responsabilités. Et du cœur. Du moins quand elle regarde sa chaîne favorite, Sky News. En novembre dernier, la résidente du 10 Downing Street a confié aux journalistes sa profonde émotion devant le reportage qu’ils avaient réalisé sur la «situation désespérée» des Rohingyas au Myanmar, «avec ces images, qui brisent le cœur, d’enfants décharnés implorant qu’on leur vienne en aide. Nous sommes face à une crise humanitaire majeure qui ressemble à de l’épuration ethnique. Et les autorités birmanes – spécialement les militaires – doivent en assumer la pleine responsabilité.» C’est un appel parmi d’autres, tout aussi vibrants – ils se sont d’ailleurs multipliés après le voyage du Pape François dans la région. Mais celui-ci appelle quelques commentaires.

Rappelons d’abord qu’il a fallu attendre le 19 septembre de cette année pour que le gouvernement britannique annonce la fin de sa participation au programme de formation des militaires birmans, dont on connaît pourtant depuis assez longtemps la façon dont ils interprétaient les leçons de leurs instructeurs. De son côté, la professeur Penny Green, de la Queen Mary University de Londres, a relevé les hésitations de Mme May autour de la qualification des violences; cela «ressemble à de l’épuration ethnique»; mais le mot de génocide est soigneusement évité, quand bien même il a été lâché par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme. Selon Mme Green, ce serait une façon de se défausser de sa responsabilité, dès lors que les pays qui ont ratifié la Convention des Nations-Unies contre le génocide seraient tenus d’intervenir, fût-ce par la force, pour faire cesser de tels crimes: or à Londres comme ailleurs, on n’a aucune envie d’une expédition militaire au Myanmar.

Un petit effort de mémoire

Ce qui pose évidemment la question des responsabilités. Celle des généraux et des mouvements nationalistes ou religieux birmans est écrasante. On a aussi dénoncé les silences d’Aung San Suu Kyi, ou certaines phrases qui témoignaient de peu d’empathie. Mais Theresa May pourrait faire un petit effort de mémoire; se souvenir, par exemple, que l’oncle du duc d’Edimbourg, après avoir été le dernier vice-roi des Indes, fut nommé en 1947 comte Mountbatten «of Burma», et qu’il eut sa part de responsabilité dans le découpage des frontières des nouveaux Etats. Des médias indiens ont ainsi rappelé comment il réussit à mettre Nehru devant le fait accompli de l’attribution au Pakistan oriental musulman (l’actuel Bangladesh) des Chittagong Hill Tracts, région limitrophe du Rakhine des Rohingyas, revendiquée alors par l’Inde, et où vivaient presque exclusivement des communautés bouddhistes et animistes. Celles-ci se virent bientôt déplacées de force, ou contraintes de fuir dans l’Arunachal Pradesh et le Mizoram; ce qui expliquerait l’indifférence des voisins indiens pour le sort des musulmans de Birmanie.

Mais ce n’est là que les conséquences ultimes des luttes pour l’Indépendance; et il conviendrait de remonter, sinon aux origines, du moins à la politique de colonisation britannique. De manière assez systématique, et sans grande originalité, elle a consisté à diviser pour régner. Que ce soit avec les Tamouls dans les plantations de thé de Ceylan ou avec les Gurkhas dans le district de Darjeeling, il s’est agi de recruter, d’une part, des ouvriers agricoles, de l’autre, des membres de l’administration supérieure ou des contingents pour l’armée britannique; c’est-à-dire de renforcer, en nombre et en importance, une minorité ethnique et souvent religieuse, pour mieux contrôler la population occupée. Les Rohingyas n’ont pas échappé à la règle; et le rôle qu’ils ont joué contre les indépendantistes, dès la guerre anglo-birmane de 1824-1826 et jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur a valu une haine implacable qui a pu se donner libre champ après 1948.

Responsabilité historique

Dans ces conditions, assumer sa responsabilité historique serait une bonne chose. On pourrait en imaginer une meilleure: accorder l’asile définitif à ces réfugiés qui ont peu de chance de retrouver des terres vivables au Myanmar, alors même que le Bangladesh a ses propres soucis politiques, économiques, écologiques. J’ai toujours rêvé d’une expérience à tenter, en entendant les arguments de pro-israéliens convaincus: reproduire en nos terres d’Europe le processus qui conduisit à la naissance de l’Etat d’Israël; et voir quelles seraient les réactions de ces bons citoyens qui trouvent que les Palestiniens devraient… (ici de fort beaux discours prouvant qu’il faut savoir faire place à un peuple qui a tant souffert). Il y a maintenant juste un siècle qu’a été signée la fameuse Déclaration Balfour par laquelle le Royaume-Uni s’engageait en faveur de la création d’un foyer national juif en Palestine. En guise de commémoration, et pour nous confirmer qu’elle a le cœur sensible, Mme May pourrait accorder aux Rohingyas persécutés, dans les environs de la Tamise, le territoire qui leur assurerait protection et sécurité. Cela s’appellerait prendre ses responsabilités.

Opinions Chroniques Guy Poitry

Chronique liée

Mauvais genre

lundi 8 janvier 2018

Connexion