Chroniques

La musique, une nécessité pour exister

Mozart en Palestine (3)

Dès le premier jour, divers indices laissaient percevoir l’imbrication entre musique et situation de la région: les horaires des répétitions tributaires des temps de trajets impossibles à estimer, les lieux de concerts inaccessibles pour certain-e-s. Mais cette réalité s’est imposée à nous brutalement lors du contrôle à l’accès de l’esplanade des Mosquées. Une choriste et la soliste alto se voient confisquer leurs partitions par un gardien israélien: «No music is allowed» [aucune musique n’est autorisée]. C’est impensable, choquant, bouleversant.

Le Conservatoire national de musique Edward Saïd occupe une place particulière. Il donne accès à la musique à des jeunes à qui l’on prête les instruments, forme de futur-e-s musicien-ne-s, et héberge une fois par an l’Orchestre national de Palestine pour un concert; à lui seul tout un symbole. Les enseignant-e-s, jeunes pour la plupart, sont venu-e-s pour une année ou plus de divers pays: l’Allemagne, l’Angleterre, l’Australie, la Belgique, les Etats-Unis, l’Italie, l’Irak, etc. Par leur présence, elles et ils font acte de solidarité, même sans le dire expressément.

Arrivé un jour avant le chœur pour une première répétition, notre chef, Julien Laloux, découvre que certain-e-s musicien-ne-s, des adolescent-e-s, n’ont jamais joué dans un orchestre. Au long de la semaine, nous serons témoins de leur incroyable ascension musicale. Au fur et à mesure des répétitions, les progrès sont palpables, les nuances se font plus intenses. Les violons pleurent et les cuivres raisonnent. Une jeune fille de 14 ans attire notre attention par sa détermination à relever le défi de jouer le solo du Tuba Mirum. Au travers de la musique, des encouragements de son enseignant, assis à ses côtés, de l’attention du chef, elle peut enfin exister, avoir sa place en tant qu’individu, en tant que musicienne, sans être renvoyée à sa religion ou à sa carte d’identité. Seules comptent la justesse des notes, le respect du rythme.

Au fil des répétitions, d’autres détails nous frappent. Un violoniste a enveloppé son instrument dans un keffieh, alors qu’un contrebassiste a collé sur l’étui de son instrument l’autocollant d’une baleine avec ce slogan «Save the humans» [sauvez les humains], nous rappelant le sentiment d’abandon du peuple palestinien. L’histoire la plus tragique est sans aucun doute celle d’une choriste, qui, il y a quelques années, répétait le Requiem de Mozart lorsque son mari fut tué par l’armée israélienne. Elle a malgré tout tenu à participer à ce projet pour pouvoir dépasser l’horreur. La musique devient parfois un espace de respiration et de liberté, permettant d’espérer malgré les murs en béton.

Les concerts viennent conclure cette semaine de travail. Le premier, dans le magnifique auditorium Nasib Shaheen à l’université de Birzeit, nous a donné un avant-goût prometteur, grâce à la musique classique arabe se glissant entre les mouvements du Requiem. Le second dans l’église du monastère de Saint-Etienne fut un pur moment de grâce. Jouer à Jérusalem a galvanisé choristes et musicien-ne-s, porté-e-s par des raisons religieuses ou politiques. C’était également un moment de soulagement, car l’avant-veille du concert, onze musicien-ne-s palestinien-ne-s s’étaient vu-e-s refuser leur laisser-passer. C’est grâce à l’intervention de la Représentation suisse à Ramallah que leur présence a finalement été possible.

Un vrai partage a eu lieu entre choristes, musicien-ne-s et solistes, ce qui est assez rare dans un milieu musical souvent clivé. Le fait que la musique devient une nécessité, un acte de résistance, n’y est peut-être pas étranger.

Opinions Chroniques Nadia Lamamra et Joëlle Bédat

Dossier Complet

Nadia Lamamra - Mozart en Palestine

mercredi 8 novembre 2017
Du 13 au 22 octobre, le chœur lausannois Harmonia Vocis se rend en Cisjordanie pour interpréter le Requiem de Mozart avec le Conservatoire national de musique Edward Saïd. Une expérience musicale...

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