La prison administrative, un Club Med pas comme les autres
En septembre 2016, réagissant à une pétition de personnes détenues dans le Centre LMC de Granges, en Valais, Oskar Freysinger déclarait: «La prison, ce n’est pas le Club Med, que je sache.1 value="1">«Oskar Freysinger: ‘La prison, ce n’est pas le Club Med, que je sache’», Le Temps, 13 septembre 2016.» Ce centre de détention administrative – un ancien abattoir reconverti – détient des individus sans autorisation de séjour en attente de renvoi, et dont les autorités craignent qu’ils ne disparaissent s’ils ne sont pas enfermés. La pétition dénonçait des conditions insalubres et un quotidien déshumanisant, une situation qui dure depuis une dizaine d’années, comme le confirment les rapports officiels des Commissions européenne et nationale de prévention de la torture. Ces rapports rendent compte d’une absence presque totale d’activités, d’une cour extérieure minuscule, de «ligotages» lors des consultations médicales, de la quasi-impossibilité de communiquer avec ses proches, de cellules où l’on passe vingt et une heures par jour, où l’on y mange et où les toilettes turques font également office de douches, etc.
La situation d’illégalité dans laquelle se trouve le Centre LMC est le résultat de la politique menée par Oskar Freysinger, alors en charge de la Sécurité dans le canton. Mais l’UDC a eu un impact plus insidieux encore: sa vision de la détention administrative et le vocabulaire qui l’accompagne se sont institutionnalisés au point de transcender les partis. C’est tout du moins ce qui ressort des débats parlementaires du Grand Conseil valaisan du 12 septembre 2017 au sujet du dernier rapport accablant de la Commission de justice cantonale sur les conditions de détention dans le Centre2 value="2">Grand Conseil du canton du Valais, Rapport de la commission de justice concernant le Centre LMC de Granges, 12 septembre 2017.
Tout d’abord, si certain-e-s élu-e-s rappellent à l’Etat ses obligations, la majorité des discours des parlementaires sous-entendent que les lieux de détention sont des espaces où les droits sont bien un principe, mais n’ont pas force de loi. Après s’en être référés à la fameuse dignité humaine, ils s’attachent surtout à déresponsabiliser les personnes en charge des conditions de détention, en les félicitant des moindres corrections apportées à l’infrastructure, relativisant ainsi les conclusions du rapport.
Pour Jürg Hallenbarter, du Parti chrétien-social haut-valaisan, «une prison doit certainement avoir un effet dissuasif, et ne doit en aucun cas être un hôtel. Mais si la dignité humaine est inférieure à ce qui est acceptable pour les animaux, alors les droits humains sont bafoués.» Une définition bien personnelle de ce que sont les droits humains…
Michel Sforza (UDC) va même jusqu’à affirmer que les droits seraient une entrave au bon fonctionnement du Centre dont les seuls «maîtres à bord» sont le personnel pénitencier. Autant d’interventions qui en plus de confondre détentions pénales et administratives oublient que les lieux de détention, quels qu’ils soient, ne sont pas des espaces de non-droit.
Un racisme primaire transparaît des élocutions des élus UDC/SVPO. Selon Michel Sforza, par exemple, si l’établissement n’est pas salubre, c’est que les personnes détenues n’ont pas l’hygiène corporelle suffisante et qu’elles sont des fainéantes, alors que «la meilleure occupation, c’est le travail», surtout lorsqu’il est «volontaire». Une preuve qu’aux yeux de ce parti, la détention administrative reste surtout un moyen de gestion de ceux qu’il considère et construit comme des indésirables. Des indésirables également de par le financement que les centres de détention administrative requièrent. Frédéric Favre (PLR), successeur de Freysinger au Département de la sécurité, rappelle qu’investir pour permettre des conditions de vie dignes aux détenu-e-s entrera en compétition avec «peut-être une école, peut-être avec des routes, avec d’autres choses». La dignité est finalement une donnée quantifiable, et les personnes détenues des coûts qu’il faut minimiser.
Et le PLR d’insister: «Il y a un élément central qui est la sécurité. Et aujourd’hui avec les infrastructures qu’on a, et bien il devient difficile de conjuguer confort et sécurité. (…) Nous devons trouver des moyens pour éviter des risques de fuite qui sont grands.» A aucun moment dans cette session parlementaire, la légitimité de l’enfermement pour séjour irrégulier n’est remise en cause, pas même à gauche. Il faut dire qu’au niveau fédéral, c’est la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga qui a défendu la révision de la Loi sur l’asile, systématisant la logique des centres comme outil de gestion des arrivées et des renvois. Des renvois accélérés qui deviennent une solution aux problèmes du Centre. Définitivement pas un Club Med.
Notes